Jacques Cartier et la découverte du Canada

Compte-rendu d’une visite au manoir de Limoëlou (Saint-Malo)

 

Le manoir de Limoëlou (partie de gauche XVe, partie centrale XVIe, partie de droite XIXe) (source : http://www.ville-saint-malo.fr/culture/patrimoine/extra-muros/)

Le manoir de Limoëlou (partie de gauche XVe, partie centrale XVIe, partie de droite XIXe) (source : http://www.ville-saint-malo.fr/culture/patrimoine/extra-muros/)

Ce compte rendu a été réalisé à l’occasion du thème “Les marges au XVIe siècle” dans le cadre du séminaire Chorea 2011-2012.

Jacques Cartier nous intéresse particulièrement puisqu’il entretient des liens forts avec le thème des marges. En effet, les marges au XVIe siècle s’interprètent notamment en termes géographiques. Les marges de l’Europe étaient symbolisées, à l’époque, par les territoires orientaux et occidentaux. Jacques Cartier découvrit le Canada en 1534 : il est l’un des acteurs majeurs de la découverte et de l’annexion de ces marges occidentales. Une visite au manoir de Limoëlou permet de retracer de façon vivante l’histoire de cet explorateur. Nous voulons présenter ici, partiellement, l’itinéraire au sein du musée (nous ne voulons pas gâcher le plaisir des prochains visiteurs en dévoilant le parcours et les trésors du musée) pour développer les points qui concernent la découverte du Canada à travers le cas de Jacques Cartier.

Les raisons de la découverte du Canada

La visite du musée commence par la grange où se faisait le cidre. Une série de panneaux expliquent les raisons du voyage de Jacques Cartier vers les contrées du nord de l’Amérique et sur les étapes de la colonisation. Ensuite, dans la première pièce du manoir, un film retrace de façon précise les voyages de Cartier au Canada. Trois raisons principales expliquent la découverte du Canada par Jacques Cartier.

La priorité de Cartier et des autres explorateurs restait, dans les années 1530 et pour plusieurs décennies encore, de découvrir le passage vers l’opulente Asie, à l’instar de Christophe Colomb. Cela nous paraît aujourd’hui incohérent, puisque l’Asie est bien plus éloignée de l’Europe en passant par l’ouest plutôt que par l’est, mais un globe terrestre, dans l’une des salles du manoir, montre au visiteur que les navigateurs du XVIe siècle croyaient l’Asie beaucoup plus proche qu’elle ne l’est en réalité, pour une raison étonnante. Les Grecs connaissaient par leurs calculs la surface du globe, qu’ils savaient rond. A la Renaissance, les textes de ces savants grecs sont traduits mais de façon fautive : la surface du globe, dans les traductions, est plus petite que dans les originaux en grec. Dès lors, même après la découverte du continent américain, les explorateurs ne pouvaient imaginer à quel point ce dernier était immense et l’Asie lointaine.

Le Pavillon d'or ou Temple Kinkaku-Ji, Kyoto (source : clementsgeoff.com)

Le Pavillon d'or ou Temple Kinkaku-Ji, Kyoto (source : clementsgeoff.com)

Des raisons plus contingentes ont poussé les Français à se diriger vers le Canada. Jacques Cartier a reçu la permission du roi d’aller prospecter dans cette direction pour éviter d’approcher de trop près les Espagnols et les Portugais qui s’étaient partagés l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale et qui ne voyaient pas d’un bon œil les approches françaises dans ces régions. Seul le nord restait disponible, malgré la présence anglaise (Terre-Neuve) qui devait par la suite entrer en concurrence directe avec la présence française. Les pêcheurs bretons, en outre, connaissaient déjà bien Terre-Neuve puisqu’ils allaient y pêcher la morue.

Enfin, le Nouveau Monde recelait des richesses intrinsèques qui en faisaient un lieu attractif pour les Européens en quête de domination, de puissance et d’argent. La partie sud du continent avait déjà fourni de grandes quantités d’or à l’Espagne et les récits des premiers explorateurs éblouissaient leurs lecteurs avec les descriptions de trésors fabuleux. On pouvait s’attendre à découvrir de semblables merveilles dans la partie nord.

Castor (source : https://www.thedodo.com/)

Castor (source : https://www.thedodo.com/)

Les richesses canadiennes

Ces espoirs de fortune parurent se concrétiser. Tout d’abord, Donnacona, le chef indien (iroquois) que Jacques Cartier rencontra en premier, mentionna le riche royaume du Saguenay. Ensuite, l’explorateur, lorsqu’il remonta le Saint-Laurent au cours de son troisième voyage, découvrit des roches veinées de traînées or et argent. Il en remplit son bateau et s’en retourna directement en France, désobéissant aux ordres du roi qui l’avait mandé pour coloniser le Canada plutôt que pour l’explorer et en ramener des richesses – nous y reviendrons. C’est seulement à son arrivée en France que Jacques Cartier apprit qu’il avait transporté du quartz et de la pyrite. Sa disgrâce s’ensuivit immédiatement et il termina ses jours dans son manoir de Saint-Malo, malgré son désir de retourner au Canada.

Le visiteur apprend à travers les explications données lors de la visite de ce manoir que la véritable richesse du Canada résidait dans les peaux de castor dont il abondait. En effet, la fourrure du castor était très prisée par les élites aristocratiques et bourgeoises au XVIe siècle, surtout pour faire des bonnets. Or, les réseaux d’approvisionnement traditionnels n’étaient plus aussi opérationnels qu’auparavant : les routes vers l’est étaient périlleuses en raison des bouleversements culturels et religieux de ce premier tiers du XVIe siècle. La dangerosité du voyage augmentait les coûts. Au Canada, ces peaux étaient nombreuses et très bon marché, du moins les premiers temps : une peau valait un couteau. De plus, la préparation de la peau était intéressante au Canada. Il existait deux façons de préparer la peau. On pouvait la faire sécher au soleil, mais le duvet présent sous les poils plus longs et plus durs en pâtissait. En revanche, le duvet restait intact et souple lorsque les Indiens avaient porté pendant quelques mois la peau, les poils contre leur corps : la sueur des hommes préservait ainsi la douceur et l’épaisseur de la fourrure du castor.

Jacques Cartier. Portrait par Théophile Hamel (1817-1870). Il n'y a pas de portrait datant de son vivant (source : wikipedia)

Jacques Cartier. Portrait par Théophile Hamel (1817-1870). Il n'y a pas de portrait datant de son vivant (source : wikipedia)

 

Les ressorts de la colonisation

Dès le début de visite du manoir, il apparaît que Jacques Cartier était plus un marin et un explorateur qu’un colonisateur. Le manoir foisonne en effet d’indices sur la profession de son propriétaire : le noyau central de l’escalier est un ancien mât de bateau et les pierres qui pavent la salle de réception et de vie sont par exemple d’anciens ballasts.

Jacques Cartier fit trois voyages. Les deux premiers étaient à visée exploratoire. On ne sait pas bien pourquoi c’est Cartier qui obtient d’aller découvrir ces terres. En tout cas, François Ier le choisit et le finance. Le premier voyage permet à Cartier d’entrer en contact avec les Amérindiens. Il réussit à convaincre deux des fils de Donnacona, le chef iroquoiens, de le suivre en France. Un an après, Cartier revient au Canada avec ces deux hommes, qui parlent désormais sa langue. Il poursuit son parcours exploratoire sur le Saint-Laurent et se retrouve bloqué par les glaces. Il doit passer un hiver sur place, où il perd une partie de son équipage, touché par le scorbut. Donnacona est à son tour emmené en France, pour être présenté au roi. Il ne reviendra jamais au Canada.

Le troisième voyage, consécutif de ces deux premiers et de la conviction que le Canada vallait la peine d’être annexé à la France, devait sceller les débuts de la colonisation proprement dite. Cartier n’était pas noble. C’est donc à Roberval que revint la responsabilité de la colonisation. Mais, retardé, il ne parvint au Canada que quelques temps après Cartier, qui repartait avec son chargement de pyrite et de quartz, abandonnant la colonie, désobéissant aux ordres et du roi et de Roberval.

La visite du manoir de Limoëlou s’achève avec une relation de la poursuite de la colonisation, racontée dans un film d’une vingtaine de minutes très documenté. Les neveux de Cartier puis d’autres s’en occupèrent. Par le Saint-Laurent et les nouvelles terres découvertes, Cartier ouvrait l’Amérique aux Français : vers le sud, le Mississipi débouchait sur les actuels États-Unis et la Louisiane ; vers l’ouest, l’espoir d’un passage vers l’Asie existait encore ; vers le nord, la baie d’Hudson permettait l’accès aux terres où foisonnaient les fourrures (Jules Verne appelle encore cette région “Le pays des fourrures”, quelques trois cents ans plus tard).

Le manoir de Jacques Cartier est en lui-même un témoignage des liens pérennes entre Français et Canadiens. Comme l'indique le site du musée, « David Macdonald Stewart, président de la Fondation Stewart, grand collectionneur et passionné d'histoire, achète le manoir de Limoëlou au nom de la Société des Amis de Jacques Cartier ». Les Canadiens ont entrepris de restaurer le manoir en accord avec l'architecte des Bâtiments de France d'Ille-et-Vilaine, ce qui a conduit à quelques aménagements volontiers consentis par les uns et les autres, dont vous aurez le récit, amusant, lors de la visite. « Au cours des années, le musée Jacques Cartier est devenu un lieu de “pèlerinage” pour les Canadiens et pour tous ceux qui désirent connaître la grande aventure française sur le continent nord-américain », selon le site du musée.

Anne Debrosse - 15/11/2011