L’Arioste à table. Les illustrations du Roland furieux du peintre de majoliques Francesco Xanto Avelli

CR de l’article de Timothy Wilson

 

A défaut d'une majolique d'Avelli, voici le Plat en faïence décorée de Montelupo, Italie ca 1540-1545, Musée d'Ecouen, France. Source : wikipédia article "majolique". (source : photo Patrick.charpiat sur wikipedia)

A défaut d'une majolique d'Avelli, voici le Plat en faïence décorée de Montelupo, Italie ca 1540-1545, Musée d'Ecouen, France. Source : wikipédia article "majolique". (source : photo Patrick.charpiat sur wikipedia)

 

Pour lire l’article de Timothy Wilson, il faut d’abord abandonner l’idée que l’auteur va proposer une réflexion très problématisée sur les représentations du Roland furieuxdans la majolique. Tout lecteur qui nourrirait ces attentes serait immanquablement déçu. L’article propose en réalité une description d’un ensemble d’assiettes issues de collections diverses et qui s’ornent de motifs ariostéens.

L’article commence par quelques précisions essentielles sur la majolique (fonction, acmè…), présentée comme “l’une des sources les plus abondantes de l’iconographie profane”. De fait, les majoliques arborant des saynètes tirées du Roland furieux sont parmi les plus précoces et les plus singulières.

T. Wilson se concentre sur un artiste, Xanto, artiste prolifique, peintre de majolique et poète à la fois, actif à Urbino dans les années 1530, pour deux raisons : c’est un homme d’une culture littéraire peu commune et il agence ses compositions selon sa propre méthode, qui consiste à réutiliser des figures extraites de gravures. En somme, il semble emblématique de ” “l’homme de la Renaissance” cher à Burckhardt” et est à mettre au “compte [d]es premiers artistes d’Italie”, bien qu’il soit resté “un peintre de journée plutôt qu’un artiste indépendant”.

L’article se poursuit par l’entrée dans la description des majoliques. La plupart sont des oeuvres de Francesco Xanto Avelli, que T. Wilson met en parallèle avec les productions d’autres artistes afin d’en montrer les particularités et les richesses. Au cours de cette promenade dans les assiettes, T. Wilson redresse ici des torts (il propose de lire et de traduire un poème de Xanto de façon inédite et convaincante) découvre là des points de détail passés inaperçus (un Astolphe sur majolique est une reprise d’un Roger gravé pour l’édition Zoppino du Roland furieux) et des résonances entre les motifs de la majolique et ceux de la gravure. Ce dernier point le retient tout particulièrement : Xanto, admirateur de Raimondi, lui reprend quelques compositions et les adapte au contexte ariostéen, allant jusqu’à réutiliser huit gravures différentes pour créer sa propre mise en scène.

Voir ici une reproduction de Roger chevauchant l’Hippogriffe.

Les mêmes structures et les mêmes conclusions reviennent invariablement tout au long de l’article.

Pour ce qui est des structures, T. Wilson présente une majolique, retranscrit le texte qui est au dos et propose des sources possibles pour les différentes figures représentées.

Pour les conclusions, T. Wilson répète que Xanto ne cherche jamais à être le plus fidèle possible au texte ariostéen et qu’il reprend des figures à d’autres artistes.

T. Wilson effleure parfois des questions qui ont visiblement trouvé des tentatives de réponses en d’autres lieux, comme la raison de la reprise des figures à d’autres artistes (économie ou jeu de connivence avec le spectateur supposé reconnaître les emprunts ?). Mais nombre d’interrogations demeurent, que le lecteur frustré aimerait poser à T. Wilson – peut-être ces questions ont-elles été traitées ailleurs et n’en savons-nous rien : en effet, on aurait aimé plus de notes, des notes qui renvoient à d’autres articles et ouvrages de façon à expliciter des propositions allusives laissées en suspens. Par exemple, quand T. Wilsondit que Xanto s’inspire d’une “version antérieure de l’Horatius, comme certains détails narratifs semblent l’indiquer”, le lecteur, qui a le plat de Xanto sous les yeux grâce aux magnifiques illustrations du livre, aimerait savoir quels sont ces fameux détails (p. 180). D’autres manques de ce genre s’avèrent plus troublants pour le lecteur. Par exemple, quand T. Wilsonécrit : “Le sujet n’ayant rien de particulièrement pictural, on peut se demander si Xanto ne l’a pas choisi parce qu’il lui permettait d’adapter commodément des éléments issus d’une seule et même source” (p. 176), il remet en question l’intérêt même de son artiste si on suit les raisons pour lesquelles il l’a choisi (culture littéraire et compositions par emprunts variés). L’article, peut-être parce qu’il va trop vite, présente ainsi quelques éléments qui frisent la contradiction. En voici un autre exemple : s’il est vrai que la majolique est “l’une des sources les plus abondantes de l’iconographie profane”, ce dont on peut “se convaincre pour ce qui concerne le Roland furieux” avec les assiettes historiées d’Urbino (p. 171), pourquoi, dans ces conditions, “ces majoliques eurent-elles peu de précurseurs et aucune postérité” (p. 181) ?

On ne peut que noter également une grande figure absente de l’article de T. Wilson, à savoir le commanditaire. Si Xanto est resté un “peintre de journée”, quelques-uns des hiatus et des anomalies de son oeuvre ne pourraient-ils pas s’expliquer justement par les desiderata des commanditaires, qui pouvaient être extrêmement détaillés, comme les recherches récentes en Histoire de l’Art l’ont montré ?

Enfin, il apparaît à deux reprises que les femmes ont disparu des majoliques ornées de scènes où elles sont pourtant essentielles : celle où Bradamante libère Roger et celle où Astolphe est au pays des femmes. Or, dans les deux cas, T. Wilson accompagne cette remarque de la même interprétation : Xanto ne se soucie pas de fidélité au texte. Soit, mais alors pourquoi les personnages féminins sont-ils exclus ? Est-ce récurrent dans l’oeuvre de Xanto ? Pas forcément, puisque les harpies, elles, sont bien figurées. En tout cas, la question de la fidélité ou de l’infidélité au texte de l’Arioste ne semble pas suffisante pour rendre justice à l’oeuvre polysémique de Xanto, aux yeux du lecteur ignorant qui n’en a jamais entendu parler. Néanmoins, elle a le grand mérite d’éviter à l’esprit de battre la campagne à la recherche d’explications éventuellement fantaisistes sur des motifs qui n’ont peut-être rien à faire ensemble.

Ainsi, T. Wilson, visiblement fasciné par un auteur qu’il apprécie et par des objets qu’il connaît bien – il précise qu’il revient sur un corpus qu’il a déjà travaillé – a la modestie de les faire passer avant son discours et même avant un enrobage théorique qui pourrait les étouffer. Néanmoins, on peut regretter l’absence de réponse à des questions qui ne peuvent manquer de se poser, alors même que l’article se répète parfois sans que cela soit nécessaire (l’expression “répétons-le”, à la fin de l’article, p. 181, est symptomatique de ce fait). Il faudra sans doute attendre le prochain article de T. Wilson (ou lire les précédents ?) pour combler ce manque.

Compte rendu fait par Anne Debrosse.