“Pratiques d’atelier et corrections typographiques à Paris au XVIe siècle. L’édition des oeuvres de saint Bernard par Charlotte Guillard”

CR de l’article de Rémi Jimenes

 

Marque de C. Guillard (Source : http://siefar.org/mediawiki/pool/images/b/bd/Marque_guillard.JPG)

Marque de C. Guillard (Source : http://siefar.org/mediawiki/pool/images/b/bd/Marque_guillard.JPG)

 

mi Jimenes part du constat que l’histoire du livre s’est intéressée depuis longtemps à la Renaissance mais que les modalités techniques de fabrication du livre à cette période restent obscures. Deux raisons à cela : d’une part, les sources – comme les gravures représentant un intérieur d’atelier ou les textes théoriques sur les techniques – ne sont pas faciles àexploiter ou trop rares ; d’autre part, seuls les ratés ou les exemplaires qui présentent des particularités d’impression sont susceptibles d’apporter des informations sur les techniques employées, mais ils n’ont pas été conservés en général, ou de façon très fortuite. Cependant, un “exemplaire entièrement constitué d’épreuves corrigées” a été retrouvé (Bibliothèque municipale de Lyon, cote 20702) : il s’agit de l’édition des oeuvres de saint Bernard publiée à Paris, au Soleil d’or, par Charlotte Guillard en 1551.

N. B. : Rémi Jimenes a rédigé une notice sur Charlotte Guillard dans le Dictionnaire des Femmes de l’Ancien Régime hébergé par le site de la SIEFAR, auquel nous empruntons notre illustration.Cliquez ici pour y accéder.

I. L’édition de saint Bernard en 1551

mi Jimenes raconte ensuite dans quelles conditions le livre aété lancé : le marché de la théologie érudite, enjeu d’une concurrence ancienne entre Charlotte Guillard et Froben, voit arriver l’italien Giovanni della Speranza, libraire à Venise. Della Speranza fait paraître en 1550 des Opera Bernardii, qui venaient d’être publiées chez Charlotte Guillard, augmentées d’inédits. Charlotte Guillard répond en mettant sur le marché, en 1551, une nouvelle publication des oeuvres de saint Bernard qui rend obsolète celle de Giovanni della Speranza parce qu’elle est munie de pièces inédites nombreuses.

 

II. Les épreuves

mi Jimenes présente ensuite l’ouvrage. Le plus remarquable est que “toutes les pages du livre ne sont pas fautives : seule l’une des faces de chaque feuille constitue une épreuve, le verso portant l’état définitif (corrigé) du texte”. Des reproductions de feuilles et des annexes montrent à quoi ressemble le livre, les signes de correction et dévoilent aux yeux du lecteur de l’article quelques techniques utilisées en 1551 dans l’atelier du Soleil d’or, grâce aux explications détaillées et toujours très lisibles (ce qui est une gageure) de Rémi Jimenes, qui s’adresse aux spécialistes aussi bien qu’aux simples curieux de l’histoire du livre.

 

III. Le compositeur et la casse

D’après certains détails, Rémi Jimenes tire des conclusions sur les casses et l’usage des types. Par exemple, un bloc de quatre lignes employé comme garniture étant constitué uniquement de “caractères spéciaux” (chiffres, symboles divers…), il apparaît que “ces caractères ne se rangent pas dans la casse ordinaire, mais dans un casseau réservé aux types moins fréquemment utilisés”. Autre exemple, certaines lettres ont manqué aux compositeurs, qui ont dû “”bloquer” la lettre à l’aide d’un caractère retourné, pied en haut”.

 

IV. La répartition du travail typographique

mi Jimenes exprime deux hypothèses sur le travail des compositeurs. La première est qu’il y aurait eu deux compositeurs : l’un se serait chargédes groupes de feuilles portant des corrections sur les faces internes, l’autre sur les groupes de feuilles portant des corrections sur les faces externes, la régularité de l’alternance entre les deux étant remarquable. La seconde hypothèse, c’est que le travail était réparti en feuilles et non en cahiers, les irrégularités s’expliquant par la collaboration des deux compositeurs pour certains cahiers.

 

V. Conclusion

mi Jimenes conclut son article en précisant que la découverte de ce livre exceptionnel ne révolutionne pas notre vision de la typographie ancienne mais qu’elle l’affine. Certes, le travail peut paraître ingrat et fastidieux, mais, “comme l’archéologue, le bibliographe n’est pas un chercheur de trésor mais un fouilleur persévérant” : les données brutes permettront seules de parvenir à une meilleure connaissance des conditions concrètes de production du livre, donc les modalités de transmission du texte à ses lecteurs.

Compte rendu fait par Anne Debrosse.