« Mythes antiques et humour dans The last hero de Terry Pratchett. »

Nathalie Catellani-Dufrêne (Université de Picardie Jules-Verne)

source : https://www.sfsite.com/~silverag/lasthero.html

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 Pratchett a écrit le cycle des Annales du Disque-Monde. C’est de la Light Fantasy, le lectorat est nombreux. Pratchett a obtenu des prix littéraires et des titres universitaires pour son œuvre. Le Disque-Monde est un système cosmogonique issu de mythes hindous. Des personnages récurrents y apparaissent : la Mort, Rincevent… Trois ouvrages seulement empruntent à l’Antiquité grecque : Small GodsPyramids et The Last Hero, où la référence à l’Antiquité est structurelle. De plus, l’ouvrage est illustré et destiné à un jeune public au départ. Les images ne sont pas seulement redondantes avec le texte. Cela renouvelle profondément le genre de la Fantasy.

L’histoire : Cohen le Barbare (qui rappelle parodiquement Conan) est à la tête d’une troupe de vieux héros édentés et grognons, mais aux armes efficaces. Leur mission est de rapporter le feu volé dans les temps mythiques. Ils veulent tout détruire. Les défenseurs du Disque-Monde sont un trio mal assorti composé du Capitaine Carotte, de Rincevent et de Léonard de Quirm. Ils sont à mettre en parallèle avec les Argonautes. D’autres références antiques sont bien présentes : L’assemblée des dieux se fait à Cori Celesti (cf le Mont Olympe). Ils ont des yeux partout, surveillent le monde (cf Io surveillée par Argos). Les dieux grecs sont parodiés grâce à l’emploi de noms évocateurs : Eole devient Flatulus, Dionysos, Biturin, et ainsi de suite. Pratchett opère un synchrétisme religieux important : les divinité égyptiennes côtoient un dieu responsable des trombones et du bon rangement des trousses. Il y a un décalage entre la référence attendue et ce qui est dit. Pratchett témoigne de sa grande connaissance des mythes de l’Antiquité. Il revient sur l’histoire du vol du feu par le héros Prométhée. Dans le récit qu’Hésiode en fait, il est surtout question du vol du feu. Or, Pratchett évoque une toute petite flamme, une main, mais sans nommer le voleur, comme si c’était inutile de le rappeler car tout le monde le connaît. C’est un clin d’oeil au lecteur. Le dernier héros doit rapporter ce qui a été volé : Prométhée n’est toujours pas nommé. C’est le ménestrel kidnappé par la Horde d’Argent dirigée par Cohen le Barbare qui finit par raconter l’histoire de Prométhée. Or, lorsqu’il a fini, il apparaît que personne n’avait entendu parler de la légende ! De plus, à la place de Prométhée, le ménestrel nomme Mazda, référence à Ahura Mazda.

Cependant, malgré ces effets parodiques qui dégradent la mythologie, il y a une remythification de la narration à la fin. La Horde d’Argent est enlevée in fine par les Walkyries. Par ailleurs, si, dans la légende grecque, il y a une réconcilition entre Zeus et Prométhée grâce à Héraclès, chez Pratchett, Prométhée se libère seul, et tue l’aigle. Il s’agit d’une réécriture fantaisiste, mais Pratchett touche là à la question principale du mythe prométhéen selon Eschyle : quelle est la place de l’homme dans le monde, quelle est sa liberté ? The Last Hero, c’est l’histoire d’une rébellion : les vieux de la Horde remercient Mazda de les avoir enjoints à la liberté. Ils redeviennent des héros par le sublime de l’ultime résistance.

(source : http://www.opera.com/whereismyopera?startidx=10)

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La Geste des Argonautes est le fil majeur qui sous-tend l’expédition des sauveurs du monde, composée de trois hommes chez Pratchett, de cinquante chez Apollonios de Rhodes. On y trouve une même construction d’un engin en bois (le navire Argo/le navire volant Cerf-Volant). Les deux équipes franchissent de vastes espaces, avec des dragons. On se trouve dans une temporalité fictive improbable : les références au temps mythologique (avec les Argonautes) croisent celles à la Renaissance, avec Leonard de Quirm (référence à Léonard de Vinci) : des pauses narratives arrangées dans le récit servent à décrire des machines, inventées par de Quirm, et Léonard est châtié pour avoir franchi les limites en faisant voler son appareil. La décoration du plafond des petits dieux rappelle celui de la Sixtine… Une troisième époque est évoquée, avec l’étape sur la lune, qui rappelle le premier pas de l’homme sur la lune. Temps mythique et histoire sont mêlés, ce qui crée une connivence avec le lecteur, grâce aux références à une culture commune. Pratchett transgresse le fonds culturel.

 En outre, le narrateur omniscient s’invite au casting. Pratchett joue avec les différents champs diégétiques à des fins parodiques, mais pas seulement. Les champs intra et extra-diégétique se confondent, Pratchett triche. Les dieux, dans The Last Hero, jouent avec les destins des hommes : il y a un recul critique avec la religion. Le narrateur brouille les pistes : ce qui apparaît extra peut devenir intra-diégétique. L’Heroic Fantasy (ou la Fantasy épique) est parodiée : des commentaires méta-diégétiques soulignent que les destins des héros sont en conformité avec les lois du genre. Cohen connaît l’identité de celui qui le trahira, tout le monde le sait et c’est dit. La question du sublime est également posée. Pratchett ne choisit pas le style grandiose de l’épique, mais le champ épique est présenté comme incontournable. Enfin, le rôle du héros et son évolution dans la Fantasy apparaissent dans Cohen/Conan, qui, à la fin, meurt. La mort du héros et de ses guerriers marque la fin de ce genre de héros. Le héros nouvelle génération, c’est Carotte, qui a les qualités des héros anciens sans en avoir les défauts. Il est à comparer à Aragorn, que Pratchett adore. Sa seule apparition sauve le monde : les vieux de la Horde d’Argent fuient devant lui. Le héros, Carotte, est collectif, humaniste, utopiste.

La fiction humoristique pose ainsi la question de la place de la connaissance éthique dans la société, ainsi que les rapports entre les hommes et les dieux.

 

Compte-rendu par Anne Debrosse, 15 juin 2012