Audrey Calefas-Strebelle : “Manipulation de l’image du Turc dans les conflits entre la monarchie et la noblesse  à l’aube de l’Ancien Régime”

Cette section constitue la partie 3 de 12 du numéro
LE VERGER - Bouquet VIII : L'exotisme à la Renaissance

Audrey Calefas-Strebelle (Mills College et UWA)

Melchior LORCK, Turc jouant de la harpe, 1576. Saint-Pétersbourg, Ermitage (wga)

Melchior LORCK, Turc jouant de la harpe, 1576. Saint-Pétersbourg, Ermitage (wga)

 

D’ennemi durant les croisades, le Turc fut porté au rang des alliés politiques et économiques de la France grâce aux ambassades françaises auprès de la Porte[1] et à la signature de Capitulations[2] entre François Ier et Soliman le Magnifique. Cette situation entraina une certaine familiarité avec le Turc dont l’image s’installa peu à peu dans le paysage littéraire français. D’étranger terrifiant, il devint au seizième siècle un allié puissant pour lequel la France nourrit des sentiments ambigus. Qu’il fût décrié ou cité en exemple, le Turc s’installa durablement dans l’imaginaire français. Instrumentalisé dans les discours sur la guerre, dans lesquels on louait sa discipline militaire et son ardeur au combat[3], dans les réflexions sur l’origine de la noblesse[4] (héréditaire ou acquise par mérite), et même dans les controverses sur les duels[5], le Turc apportait un élément de comparaison nouveau. Portée au discours politique, cette comparaison servit tour à tour d’outil dans les mains d’un pouvoir royal qui cherchait à s’imposer contre une noblesse turbulente[6] et d’instrument dans celle des nobles afin de critiquer les tendances nouvellement absolutistes de la monarchie[7]. Jusqu’ici, la critique, notamment à la suite de la théorie d’Edward Saïd tente d’expliquer cette curiosité pour l’Orient (et donc l’Empire Ottoman) par un attrait pour l’exotisme et les mystères de l’Orient, « exotic and « inscrutable » Orient[8]. L’idée que nous avançons dans cet article est assez nouvelle : il s’agit de montrer une corrélation entre la crise d’identité que la noblesse connut dès la seconde moitié du seizième siècle, et l’apparition en masse du Turc sur la scène littéraire française. Grâce à une herméneutique que nous posons à partir de la société et du sujet turc, nous proposons d’interpréter les transformations de l’idéal nobiliaire et les mutations politiques de la France entre le seizième et le dix-septième siècle, et de soulever la question de « l’exotisme »  du Turc pour les auteurs de notre corpus.

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Pour consulter le sommaire du bouquet du Verger consacré à L’exotisme, on peut se reporter ici

[1] La première ambassade est celle de Jean de la Forest (1535-37) accompagné par Guillaume Postel.

[2] Accords politique et économiques signés dès 1536 entre la France et L’Empire Ottoman.

[3] Voir à titre d’exemple Guillaume Postel, La République des Turcs (1560) Michel de Montaigne, Essais (1580), Jean Bodin, Les six livres de la république (1576), Louis Guyon, Les Diverses leçons (1603) et Blaise de Monluc, Commentaires (1592)

[4] Voir Pierre Charron, De la sagesse (1601) et Jean Bodin Les six livres de la République (1576); Louis Le Roy, De la vicissitude ou Variété des choses en l’univers (1575)

[5] Voir Pierre Belon, Les Observations (1554); Jacques de Villamont, Les Voyages (1595); Brantôme, Discours sur les duels

[6] Voir l’instrumentalisation de l’assassinat du Sultan Osman (1622) par le Père Pacifique et le Mercure François afin de critiquer les nobles dissidents

[7] La France Turquie (1576) et Les Remuemens avenus en la ville de Constantinople (1589)

[8] Edward Saïd, Orientalism (New York: Vintage Books, 1994).

 

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