Bernard Grunberg & Julian Montemayor – L’Amérique espagnole (1492-1700). Textes et documents

9782343038865

Bernard Grunberg & Julian Montemayor, L’Amérique Espagnole (1492-1700) Textes et documents, avec la collaboration de Eric Echivard, Josiane Grunberg et Eric Roulet, Paris L’Harmattan, 46€

Dans une actualité historiographique largement stimulée par la mise au programme de la question sur la « péninsule ibérique et le monde, 1470-1640 » à l’agrégation d’histoire de 2014 à 2016, la parution d’un recueil de textes et documents traduits en français doit être saluée.

Bernard Grunberg, professeur à l’Université de Reims, est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Amérique espagnole et le fondateur des Cahiers d’Histoire de l’Amérique coloniale, qu’éditent déjà les éditions l’Harmattan depuis 2006. Il co-dirige le présent recueil avec Julian Montemayor, professeur à l’Université de Toulouse et spécialiste de Tolède à l’époque moderne, avec la collaboration d’Eric Echivard, Josiane Grunberg et Eric Roulet.

L’histoire de l’Amérique espagnole à l’époque moderne a connu un important renouvellement ces dernières années dans la production historiographique de langue française. Cependant, l’accès aux sources originales n’est pas toujours commode, malgré les efforts d’un certain nombre de maisons d’éditions, parmi lesquelles il faut noter la collection Magellane de Chandeigne, qui publie régulièrement les traductions critiques des textes de la première connexion du monde occidental, particulièrement ibérique, à l’Amérique et à l’Asie et les éditions l’Harmattan qui consacrent plusieurs de leurs collections à l’étude de l’Amérique latine, toutes périodes confondues.

Les anthologies de textes traduits en français sur la question demeurent cependant rares, et il faut être reconnaissant aux éditions l’Harmattan et aux directeurs de ce recueil d’avoir eu à cœur de mettre à la portée du plus grand nombre les textes fondateurs de l’Amérique espagnole. La publication de ce recueil intervient dans une actualité historiographique et pédagogique riche. Si beaucoup des textes de ce recueil sont issus de traductions françaises déjà publiées et souvent anciennes (datant souvent du XIXe siècle), il y a également de nombreuses traductions inédites que les auteurs ont effectuées.

Sans avoir vocation à l’exhaustivité, ce recueil de textes et documents se caractérise par la volonté des auteurs de « couvrir une grande partie du champ de l’histoire de l’Amérique espagnole pour en donner la vue la plus large possible ». Le but est atteint dans la mesure où effectivement, la variété des sources choisie offre un panorama assez complet de l’histoire de la période. Les auteurs ont ainsi mobilisé des sources littéraires autant qu’archivistiques, administratives (instructions de gouvernement, cédules royales et ordonnances) ou privées, notamment des lettres de colons américains à leurs parents restés en Espagne, et également de nombreux tableaux statistiques qui permettent notamment d’éclairer l’histoire démographique, économique et urbaine de l’Amérique espagnole. On peut regretter que le chapitre sur les villes, par ailleurs bien conçu pour les récits de fondation et la description des villes du Nouveau Monde, ne comporte pas de cartes, d’époque ou non, venant à l’appui des textes. Néanmoins, à peu près tous les thèmes que l’on peut aborder dans l’histoire de l’Amérique espagnole sont présentés : conquête, population, villes, domination espagnole, évolution de la société hispano-américaine, exploitation économique, évangélisation et vie religieuse.

Les auteurs ont plutôt choisi d’adopter un regard large sur la période 1492-1700, en essayant d’intégrer différents aspects de l’histoire de l’Amérique espagnole, qui vont de la conquête proprement dite, des documents politiques comme les capitulations données aux conquistadors espagnols, aux évolutions sociales, à la vie religieuse. On aurait aimé que le dernier chapitre sur l’attrait des Indes, très court, soit un peu plus développé : seuls deux textes y sont consacrés.

La période retenue a été divisée en 3 grandes parties : les découvertes, de 1492 à 1516 ; la Conquista, de 1516 à 1568 ; enfin, la colonisation qui s’étire de 1568 à 1700. La parité XVIe / XVIIe siècle n’est pas vraiment respectée, puisqu’il y a un net avantage en faveur des textes sur le XVIe siècle. Cela est dû probablement à un effet de sources, à la multiplication dès le 2e quart du XVIe siècle, des histoires de la conquête espagnole aux Amériques. En témoigne notamment le recours à de nombreux extraits de l’Histoire véridique de la Conquête de la Nouvelle Espagne de Bernal Diaz del Castillo, à l’Histoire générale des Indes de Lopez de Gomara, à Las Casas, Bernadino de Sahagún et autres historiens. Si les textes sur le XVIIe siècle sont un peu moins nombreux, les documents statistiques produits au chapitre III s’efforcent de retracer les évolutions longues de la population de 1492 à 1700, en s’intéressant aussi bien à la population indigène qu’à celle des migrants ibériques en Amérique. Le XVIIe siècle est mieux représenté également dans les documents qui retracent les évolutions économiques et sociales de l’Amérique espagnole, mais la volonté d’aller au-delà de 1650 n’est pas vraiment réalisée, puisqu’il y a proportionnellement peu de textes sur la toute fin de la période. Peut-être cela est-il dû aussi à un parti-pris scientifique des directeurs de l’ouvrage qui ont choisi de ne pas évoquer  l’existence d’un hypothétique “déclin”, économique en particulier, de l’Amérique espagnole après 1640, ce qui ne saurait leur être reproché étant donné les débats nombreux qui ont lieu sur cette question. Néanmoins, la date butoir de 1700, même si elle correspond à la fin du règne des Habsbourg, paraît dans ces conditions un peu artificielle.

Le découpage en sections chronologico-thématiques permet cependant d’aborder l’histoire de l’Amérique espagnole sous des angles différents. L’ouvrage est découpé en 9 chapitres, dont deux sont véritablement chronologiques, selon la conception des auteurs eux-mêmes. A travers les récits contemporains de la conquête, les chapitres 1 et 2 présentent les « prolégomènes » de la découverte (l’installation des Espagnols dans les Canaries, puis la découverte de l’Amérique) puis la Conquête elle-même où sont évoqués à la fois la figure du conquistador et les premiers contacts avec les populations indiennes.

La suite des chapitres écarte l’évolution chronologique et adopte une démarche thématique. La période de la « colonisation », à partir de 1568, n’est pas abordée en tant que telle, mais au travers des 7 chapitres suivants, qui recoupent également la chronologie des découvertes et de la Conquista. Ainsi, le chapitre 3 sur la population des Indes, principalement constitué de tableaux, fait écho aux sources exposées dans le chapitre 4 sur l’organisation et l’administration de l’Amérique espagnole (lois de Burgos, lois Nouvelles, administration du tribut indigène) et au chapitre 5 sur les villes (fondations de Trujillo, Lima, Mexico, Manille et vie quotidienne urbaine). Les chapitres 6, sur le monde indigène sous domination espagnole et 7, sur l’évolution de la société hispano-américaine, se répondent également à travers les différents textes sur le traitement des Indiens, l’encomienda, l’évolution de l’esclavage, la structure sociale (mariage, hiérarchies sociales), la place des métis dans la société… Le chapitre 8, chapitre conséquent consacré à l’exploitation économique de l’Amérique espagnole, comporte des documents sur l’appropriation foncière, la mise en place du commerce des Indes avec l’Espagne et d’Inde en Inde (Amérique-Asie), le travail dans les mines, la circulation des nouveaux produits, fruits, légumes et bétail. Ce chapitre ne peut être tout à fait isolé des évolutions sociales évoquées aux chapitres précédents, de même que celui sur l’évangélisation et la vie religieuse, où sont notamment éditées les différentes bulles papales concernant ces nouveaux territoires. On devine bien évidemment la difficulté des auteurs à catégoriser les textes sélectionnés, dont un certain nombre recoupent ces différents thèmes mis en avant.

Enfin, les annexes comprennent une série de cartes classiques sur les frontières du monde espagnol, les vice-royautés des Indes, la situation des Audiences et le système de la Carrera de Indias, mais il faut surtout noter la présence d’un glossaire espagnol-français qui reprend le vocabulaire propre à l’étude des mondes ibériques extra-européens, très bien fait et très utile, non seulement pour la compréhension directe des textes du recueil mais plus généralement pour l’étude de l’histoire coloniale ibérique. En revanche, s’il y a bien une table des matières, on regrettera l’absence d’un index des auteurs et d’une liste des sources utilisées qu’il faut systématiquement aller chercher texte par texte.

Le choix délibéré de la part des éditeurs de ne pas donner de présentation des textes reproduits est assez regrettable, même s’il est compensé par la riche bibliographie reproduite en fin d’ouvrage. Mais justement, ce recueil ayant pour vocation principale de mettre à la portée des lecteurs français ces sources qui pour la plupart ne sont pas traduites, certains textes auraient justifié quelques développements, même succincts. Sans doute, une présentation de chacun des textes, ou au moins des thèmes choisis et ordonnés, aurait-elle réduit le nombre de textes publiés ici, mais elle aurait permis au lecteur non-spécialiste de mieux appréhender ces sources particulières. Certes, les auteurs ont choisi « de permettre à tout un chacun de se faire sa propre idée » et ont sélectionné dans ce sens des « textes et documents très variés », mais précisément, la variété des sources appelait des présentations plus étoffées, à la fois des documents, mais aussi des auteurs, voire une justification de certains choix. En contrepartie de ce parti pris éditorial, le nombre et la variété de ces textes et documents compense l’absence de présentation avec un « échantillonnage de presque tous les types de sources », ce qui n’est pas la moindre des qualités de ce recueil.

Ce recueil très riche constitue ainsi un outil fort commode, et s’impose comme un ouvrage de référence indispensable pour aborder l’étude de la première mondialisation ibérique en Amérique par les sources. Il nécessite cependant déjà certaines connaissances sur la question, du fait de l’absence de présentation de ces textes. Ainsi et par son prix assez élevé, il s’adresse plutôt à un public d’enseignants et d’étudiants avancés qui y trouveront là une mine de documents traduits, plutôt qu’à des novices ou de simples curieux.

MGLF, novembre 2015