Philippe Canguilhem – L’Improvisation polyphonique à la Renaissance

Philippe Canguilhem, L’Improvisation polyphonique à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2015, 263 p., 32 €

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COSTA, Lorenzo the Elder Concert 1485-95, National Gallery, London

Dès son intéressante introduction, Philippe Canguilhem évoque le manque d’intérêt de la musicologie actuelle pour l’improvisation à la Renaissance. Il y formule un souhait dont il débute la réalisation : « Puisse ce petit livre contribuer, à sa façon, à illustrer cette réalité oubliée. » (p. 16). Plusieurs éléments (théoriques et archivistiques, d’auteurs et d’institutions différents, majoritairement d’Europe de l’Ouest) sont ici amenés et fournissent le fondement d’une réévaluation de diverses sources. Ainsi Philippe Canguilhem propose-t-il une
approche novatrice et complète de la perception et de la compréhension de l’improvisation chantée à la Renaissance. Les quatre parties de cet ouvrage (« Concept », p. 17-56 ; « Circonstances », p. 57-122 ; « Techniques », p. 123-192 ; et « Spectacle du contrepoint », p. 193-238) abordent donc l’improvisation, depuis sa pensée jusqu’à sa réception.

Dans le chapitre A, l’auteur propose une initiative essentielle : « Les mots et la chose ». Il y établit un glossaire dans lequel il relève les termes relatifs au contrepoint improvisé, les plus fréquemment rencontrés. Ils sont énoncés par pays et en langue vernaculaire. Dans les chapitres suivants, d’autres termes relatifs à l’improvisation, notamment en latin, sont utilisés. Nombre d’entre eux sont définis mais seulement lors de leur première mention dans le commentaire. Le glossaire du chapitre A est d’une part essentiel pour la compréhension de l’ouvrage ; d’autre part il permet la relecture de bien des sources, comme le démontre Philippe Canguilhem dans son ouvrage.

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ROBBIA, Luca della Cantoria (détail) 1431-38, Museo dell'Opera del Duomo, Florence (source : WGA)

Autant le titre laisse présager une seule étude de l’improvisation chantée à la Renaissance, autant l’ouvrage aborde une Renaissance « large », allant jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Pour certaines études de cas, cela peut porter préjudice, notamment dans la sous-partie « Chanter sur le livre, une activité quotidienne » (p. 118-120). La mise en regard des prescriptions liturgiques de la collégiale de Douai en 1559, avec celles de la cathédrale d’Ypres en 1566 et de la cathédrale du Mans en 1789 présente certaines limites. Comparer ainsi les principes liturgiques de trois types d’églises (ancienne cathédrale, nouvelle cathédrale et collégiale) sur presque deux siècles et demi reste, certes convaincant, mais nécessite plus de précision. Les fondations de chacune des églises, leurs spécificités rituelles et en fréquent changement, rendent difficile une comparaison sur presque un siècle et demi. Toutefois, relever des mises en œuvre de principes liturgiques permet de prouver qu’à travers les siècles et les institutions, les églises catholiques sont des lieux privilégiés pour la pratique de l’improvisation polyphonique.

Cet ouvrage peut être considéré comme un point de départ nécessaire à la reconsidération des sources musicales, notamment liturgiques et théoriques. Il permet de mieux appréhender la musicologie de la période moderne. Les nombreuses études de cas, mais aussi les abondants croisements entre diverses sources de différents pays font de cet ouvrage un outil indispensable pour toute personne qui se confronte à des récits, traités ou archives musicaux : l’improvisation jusqu’alors délaissée par la musicologie se voit sortie de l’oubli.

Compte rendu par Charles-Yvan Elissèche, septembre 2016