Albineana 36 : “Vocations d’enfants et trajectoires familiales dans le temps des guerres civiles et religieuses 1550-1630″

Appel à contribution.

Albineana 36 : VOCATIONS D’ENFANTS ET TRAJECTOIRES FAMILIALES DANS LE TEMPS DES GUERRES CIVILES ET RELIGIEUSES 1550-1630

La revue Albineana lance un appel à communication pour un numéro consacré au thème de l’enfance, et particulièrement des vocations enfantines relues au prisme des trajectoires familiales, en France aux XVIe – XVIIe siècles.

Les travaux des historiens sur l’éducation[1] et la famille[2], ont bien repéré pour l’époque des changements majeurs dans l’idée de l’enfance, et comment cette tranche d’âge (plus ou moins déterminée) nécessitait attention et protection particulières de la part des autorités civiles et religieuses, sans parler d’investissements (réforme et développement des collèges et des régences latines, débats juridiques sur la famille, la filiation, l’éducation, etc.). Cette évolution trouve un large écho dans la littérature du temps, de Rabelais à Montaigne[3]. Théodore-Agrippa d’Aubigné, pour sa part, a expressément « problématisé » sa propre enfance comme clef d’explication de son destin. Référence majeure de l’argument, le texte autobiographique de Sa Vie à ses enfants donne prise aux différentes lectures (confessionnelles, psychologiques, historiques, littéraires) que mérite ce conte des origines et ce récit d’éducation. D’Aubigné laisse aussi par endroits apparaître dans son œuvre et sa correspondance un point de vue particulier sur l’éducation ou le développement moral des garçons et des filles. La question de la vocation enfantine s’étend à son œuvre poétique comme motif ou image à sens multiples : évocation de figures convenues tirées en grande partie de l’histoire sainte (massacre des Saints-Innocents, les Macchabées) mais aussi outils d’esthétique (appels à la pitié, évocation de la tendresse maternelle, cruauté de l’état de nature, comparaisons animalières) ou rhétoriques, quand il préface en vers ses principaux recueils[4] présentés métaphoriquement comme ses enfants. Enfin, l’historien des guerres de Religion rend compte, instrumentalise et/ou dramatise tout particulièrement dans ses récits et ses analyses le massacre des enfants et celui des mères nourricières[5]. Si l’évocation du temps d’enfance peut relever du lieu commun dans une œuvre de mise en mémoire, hors strict motif d’héroïsation, elle ouvre aussi le champ aux introspections et aux incursions de l’intime dans la parade de soi. D’Aubigné n’offre-t-il pas encore un éclatant exemple avec « sa mère morte en accouchant », le serment d’Amboise à son père, la malédiction du fils légitime et la dilection du fils naturel… ? L’établissement d’une vocation dans l’enfance devient alors le signe d’un positionnement familial assumé.

Rogier van der Weyden, La Vierge à l'enfant, après 1454, The Museum of fone Arts, Houston.

Rogier van der Weyden, La Vierge à l'enfant, après 1454, The Museum of fone Arts, Houston.

L’occasion serait ici d’aborder, à partir du cas d’Aubigné, les superpositions des trajectoires et des formations (morales, religieuses, sociales scolaires, universitaires) – boisseau qui pourrait être réuni par le poète sous l’idée unificatrice de vocation.

De récentes études sur l’enfant se sont en effet déployées dans deux directions qui intéressent notre sujet. Les travaux de D. Crouzet (2020) ont contribué à sortir l’enfant de la passivité dans laquelle on avait coutume de le plonger, en mettant en exergue sa place en tant qu’acteur historique des guerres de Religion, producteur d’une violence qui lui est spécifique. La seconde direction a été largement impulsée par les médiévistes qui se sont intéressés à la question de la parenté soit dans sa dimension affective et imaginaire, soit dans une dimension plus sociale, en tant que mécanisme de reproduction et de construction communautaires (Lett, 1997 et 2000, Klapish-Zuber, 2000, Nassiet 2000, Bouchard, 2001, Delille, 2015, Foehr-Janssens, 2019). Comme l’a montré de manière extrêmement convaincante A. Lespagnol (1995), l’enfant relève de stratégies sociales mises en œuvre par la famille[6].

Nous voudrions donc dans ce numéro d’Albineana aborder l’enfance en la ressaisissant dans le cadre de trajectoires familiales qui l’encadrent et l’éclairent, plus particulièrement en s’intéressant à la signification d’une vocation enfantine aux xvie-xviie siècles, aux rapports entre celle-ci et les stratégies familiales mises en œuvre. Si la vocation – dont on a coutume d’assigner l’origine à une élection transcendante – semble de prime abord échapper aux déterminismes sociaux, les travaux des historiens et sociologues ont bien établi qu’elle résulte d’une construction sociale et institutionnelle (Suaud, 1978). La fabrique des vocations (et le discours qui en est fait) ressortit à un ensemble de pratiques sociales par lesquelles une famille, un groupe, une communauté, tente de conserver une position ou de s’élever. Il s’agirait d’une part de s’interroger sur la vocation enfantine en la resituant parmi des dynamiques et des trajectoires familiales précises (catégorie sociale, confession, place dans la fratrie, etc.) qui viennent définir un éventail de possibles, propres presque à chaque enfant. La vocation se conçoit alors comme le choix, parmi ces possibilités, estimé le plus susceptible de réussir socialement. C’est ce moment d’hésitation, cette lente naissance de la décision qui finit par se fortifier en vocation, qu’il faudrait ressaisir, comme l’a fait N. Schapira dans son étude sur Valentin Conrart (2003). D’autre part il conviendrait de réfléchir au discours qui vient justifier a posteriori le choix effectué. C’est sur ce point qu’une approche littéraire apparaît particulièrement féconde. La dimension discursive et rétrospective de la vocation invite à une réflexion esthétique et rhétorique : par quel type de récit relater une vocation, quels termes sont utilisés pour rendre compte d’une élection, quels procédés sont retenus pour s’inscrire dans la mémoire d’une lignée ou au contraire pour revendiquer une singularité ? Plus généralement, il s’agirait de voir comment ces investissements familiaux sur l’enfance, bien documentés par les historiens, sont figurés par le discours littéraire et de capter « le potentiel symbolique, voire spirituel, des réalités les plus obvies » que dévoilent les œuvres littéraires (Y. Foehr-Janssens, 2019, p. 50).

Diverses pistes relatives au sujet pourront être envisagées dans un large corpus de textes aussi bien fictionnels que factuels, albinéens ou autres :
– Comment les trajectoires familiales construisent des vocations chez les enfants, qu’elles soient confessionnelles ou professionnelles ? On sera, dans cette perspective, sensible à la manière dont la transmission ultérieure aux enfants permet d’entériner ces choix et de les construire en logique familiale, qu’elle relève de vocations confessionnelles ou plus simplement professionnelles (pensons ici aux familles d’imprimeurs-libraires).
– La vocation en situation de guerre civile dans la littérature militante. Les guerres de Religion ont pu apparaître comme un moment dans lequel les individus ont pu penser leur action comme répondant à une vocation transcendante. Dans quelle mesure ces vocations militaro-confessionnelles rompent avec un héritage social, ou n’en sont que la poursuite par d’autres moyens ?
– L’utilisation du scénario de la vocation enfantine comme instrument polémique et pièce justificatrice : la vocation et la réponse à l’appel familial peuvent apparaître comme moyen de légitimer d’une action dans les troubles.
– La fabrique de la vocation : selon quels modèles la première modernité comprend cette idée de vocation enfantine ? Vocations littéraire et religieuse répondent-elles au même modèle ? Quels sont les mots pour la dire ?
– Une réflexion selon les genres. Comme le montre bien Van Elslande (p. 128), les mémoires sont un lieu privilégié d’une réflexion sur le « scénario d’élection » projeté sur l’enfant dont le mémorialiste adulte pointe ou bien la congruence ou le décalage avec celui qu’il était. Le récit d’enfance apparaît tantôt comme une manière de singulariser, tantôt de revendiquer une filiation. Plus spécifiquement, on pourra être attentif aux tonalités qui accompagnent ces rapports à l’enfance (le décalage est-il toujours souligné par le comique et le destin par l’épique ?). Dans les œuvres romanesques, les changements de nom, les motifs de travestissement durant l’enfance, pourront être interrogés

[1] Après les travaux pionniers de E. Garin (1957), citons les études devenues canoniques de R. Chartier, M-M. Compère et D. Julia (1976) ou de F. Waquet (1998).
[2] À la suite du livre fondateur de Ph. Ariès (1973), pensons aux travaux importants de G. Duby et J. Le Goff (1977), d’A. Burguière, Chr. Klapisch-Zuber, M. Segalen, F. Zonabend (1986) et d’E. Becchi et D. Julia (1998).
[3] Rabelais, Pantagruel, 1532, chap. IV-VIII ; Gargantua, 1535, chap. XI-XXIV ; Montaigne, Essais, 1588, I, 26.
[4] Les Tragiques, éd. critique Jean-Raymond Fanlo, Classiques Garnier, 2022 ; Le Printemps, Stances et Odes, Droz, 1972 ; L’Hécatombe à Diane, éd. Julien Goeury, PU St-Etienne, 2007.
[5] L’Histoire universelle, éd. André Thierry, Droz, 1981-2000, 11 vol.
[6] Voir aussi R. Chartier, M-M. Compère et D. Julia, 1976, p. 175-206.

Contributions attendues : littérature française et européenne (XVIe-XVIIe siècle) ; histoire sociale ; histoire de l’éducation et de l’enseignement ; histoire de l’art…

EQUIPE COORDINATRICE

Thibault CATEL
Isabelle MOREAU
Erick SURGET

Les propositions d’article (300 mots environ) sont attendues pour le 1er mars 2023 au plus tard aux adresses suivantes : thibault.catel@unilim.frisabelle.moreau@ens-lyon.frerick.surget@orange.fr

Les articles paraîtront, après relectures, dans le numéro 36 d’Albineana, revue des Amis d’Agrippa d’Aubigné (http://www.agrippadaubigne.org/albineana.html).

BIBLIOGRAPHIE

ARIÈS, Philippe, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime, Paris, Seuil, 1973.
BECCHI, Egle et JULIA, Dominique (dir.), Histoire de l’enfance en Occident, Paris, Seuil, 1998.
BOUCHARD, Constance Brittain, Those of My Blood: Constructing Noble Families in Medieval Francia, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2001.
BURGUIÈRE, André, KLAPISCH-ZUBER, Christiane, SEGALEN, Martine, Zonabend, Françoise (dir.), Histoire de la famille. 2. Le choc des modernités, Paris Armand Colin, 1986.
CHARTIER, Roger, COMPÈRE, Marie-Madeleine, JULIA, Dominique (dir.), L’Éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Société d’éd. d’enseignement supérieur, 1976.
CROUZET, Denis, Les Enfants bourreaux au temps des guerres de religion, Paris, Albin Michel, 2020.
DUBY, Georges et LE GOFF, Jacques (dir.), Famille et parenté dans l’Occident médiéval, Rome, École française de Rome, 1977.
DELILLE, Gérard, « La France profonde. Relations de parenté et alliances matrimoniales (xvie-xviiie) », Annales HSS, 70/4, 2015, p. 881-930.
FOEHR-JANSSENS (Yasmina), « Lignage et reproduction. Aspects sociaux de la parenté et de la parentalité dans quelques chansons de geste », dans L. Evdokimova et A. Marchandisse (dir.), Le Texte médiéval dans le processus de communication, Classiques Garnier, 2019, p. 49-65.
KLAPISCH-ZUBER, Christiane, L’Ombre des ancêtres. Essai sur l’imaginaire médiéval de la parenté, Paris, Fayard, 2000.
LESPAGNOL, André « Modèles éducatifs et stratégies familiales dans le milieu négociant malouin aux 17e et 18e siècles : les ambiguïtés d’une mutation », dans F. Angiolini et D. Roche (dir.), Cultures et formations négociantes dans l’Europe moderne, Paris, Ed. de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 1995.
LETT, Didier, Famille et parenté dans l’Occident médiéval (Ve-XVe siècle), Paris, Hachette supérieur, 2000.
LETT, Didier, (dir.), Être père à la fin du Moyen ÂgeCRMH, 1997 (dont un article « L’“expression du visage paternel”. La ressemblance entre le père et le fils à la fin du Moyen Âge : un mode d’appropriation symbolique »).
NASSIET, Michel, Parenté, noblesse et états dynastiques : XVe-XVIe siècles, Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, 2000.
SCHAPIRA, Nicolas, Un professionnel des lettres au XVIIe siècle : Valentin Conrart, une histoire sociale, Seyssel, Champ Vallon, 2003.
SUAUD, Charles, La vocation ; conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Minuit, 1978.
VAN ELSLANDE, Jean-Pierre, L’âge des enfants (XVIe-XVIIe siècles), Genève, Droz, 2019.
WAQUET, Françoise, Le Latin ou L’empire d’un signe : XVIe-XXe siècle, Paris, A. Michel, 1998.