APPEL – Comment peut-on être Indienne ? Rôles et représentations de la femme asiatique dans les récits français de voyage authentiques et fictifs durant la période d’Ancien Régime (XVIe- XVIIIe Siècle)
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Start date:17/02/2021, 19:58
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End date:01/07/2021, 00:00
Comment peut-on être Indienne ?
Rôles et représentations de la femme asiatique dans les récits français de voyage authentiques et fictifs durant la période d’Ancien Régime (XVIe– XVIIIe Siècle)
Appel à contributions pour la revue Convergences Francophones
avec le soutien moral de la SIEFAR
(Société Internationale pour l’Etude des Femmes d’Ancien Régime)
et avec le soutien du CRLV
(Centre de Recherche sur la Littérature de Voyages)
« Vous voulez que je vous parle de cette jeune Indienne que vous appelez mon écolière, et je vous dirai, Madame, que c’est une des personnes que je connoisse qui mérite autant qu’on lui donne de bonnes leçons. »[1] Il est ici question de Madame de Maintenon, surnommée la « jeune Indienne » en raison de ses prétendues origines américaines. Dans un monde divisé en deux espaces indiens : les Indes occidentales et les Indes orientales, la démarcation de la zone géographique asiatique est assez floue pour le lecteur sédentaire. Par ailleurs, le terme même d’Indienne relève d’une polysémie propre à la période d’Ancien Régime puisqu’il renvoie à la fois aux cotonnades importées de Chine et d’Inde mais aussi aux autochtones amérindiennes et asiatiques. L’espace envisagé est ainsi fort étendu : « Asie », correspond, aux siècles classiques, à la fois au Moyen Orient, aux Indes orientales et à l’Extrême-Orient (Indochine et Chine). A partir du XVIIe siècle, la France connaît un tournant économique et culturel en s’insérant dans la course européenne vers le commerce maritime asiatique. D’abord brutale, la rencontre avec un ailleurs indien conduit les voyageurs à s’appuyer sur l’imaginaire hérité des Antiques pour décrire cette nouvelle altérité. Il s’agit alors pour les auteurs de valoriser un territoire prometteur à la fois pour le monde économique mais aussi pour le monde littéraire. Si l’espace moyen oriental est bien connu des lecteurs, l’imaginaire indien doit pleinement être exploité. Toutefois, c’est bien au cours du XVIIIesiècle, avec les travaux de traduction d’Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron que la démarche indianiste prend son essor.
Ce numéro s’offre de mettre en évidence, de manière encore inédite, la place particulière de la représentation des femmes indiennes (au sens large) dans la constitution de l’imaginaire littéraire oriental d’Ancien Régime. La rencontre entre l’Europe et l’Asie a donné lieu à une connexion séculaire, intercontinentale et multiforme qui dépasse la dualité dominant/dominé.[2] Les récits de voyages, authentiques ainsi que les œuvres de fiction permettent d’interroger le rôle des femmes dans l’émergence du goût pour la littérature de voyage dans les Indes. Peut-on parler pertinemment d’une co-construction homme/femme de l’imaginaire indien dans la littérature française ?
Dès le XVIIe siècle, les femmes issues du milieu aristocratique organisent les Salons où se tiennent de grands échanges fondateurs de la culture européenne. On voit ainsi le voyageur François Bernier, resté plus de dix ans en Inde, converser avec Jean de la Fontaine dans le Salon de Madame de la Sablière avant de mentionner l’ouvrage de Pilpay comme source d’inspiration pour ses fables. De fait, les rencontres entre voyageurs et écrivains sédentaires nourrissent la vie culturelle française en introduisant notamment de nouveaux modèles littéraires comme celle du Grand Moghol prenant le pas sur celle du Grand Turc.
Par ailleurs, les figures de femmes asiatiques, que l’on découvre pendant le voyage, permettent au relateur de décrire les mœurs et coutumes des peuples autochtones afin d’asseoir la supériorité culturelle et politique de la France. Le personnage de la veuve indienne sacrifiée pour suivre son défunt époux sur le bûcher funéraire se met progressivement en place jusqu’à devenir un topos du récit de voyage en Inde. Elle permet aussi aux voyageurs d’exprimer leur ethos, pris au piège entre horreur et fascination, pour enfin devenir un motif d’héroïsation : le voyageur européen qui sauve des flammes la veuve devient à son tour, au cours des siècles suivants, un topos de la relation amoureuse dans la fiction européenne mais aussi indienne. Par ailleurs, les transferts de genres au sein même de la littérature de voyage, ainsi que la littérarisation de la représentation de la femme étrangère sont également un moyen d’accéder au voyage allégorique transmis par la lecture. Les lectrices sédentaires découvrent par le biais de romans ou de pièces de théâtre l’expérience viatique à laquelle elles ne peuvent pas toujours prétendre. Réfléchir à la figure de la femme en voyage sous l’Ancien Régime, c’est donc d’abord tenter d’élaborer une typologie des voyageuses, réelles ou fictives, afin d’en comprendre le rôle dans la construction des rapports hommes/femmes avant les grands bouleversements apportés par la Révolution Française. Mais c’est aussi chercher à comprendre le processus d’une construction identitaire façonnée selon une unicité fantasmagorique mise en place par le discours masculin. Questionner à la fois la valorisation de la réception par les femmes européennes des récits de voyages en Asie et dans un même temps, l’élaboration de la représentation de l’Asiatique à travers le regard des voyageurs est l’un des enjeux de cette publication. Il sera ainsi possible de mettre au jour la pluralité de consciences et d’identités féminines dans le cadre d’expériences aussi peu communes que les voyages entrepris dans des conditions souvent difficiles.
Il s’agit bien d’interroger l’imaginaire français de l’Asie, à la fois par le biais de l’écriture du voyage authentique mais aussi par le recours à la fiction exotique. Ce questionnement permet de mettre au jour le rôle central de la figure féminine : qu’elle soit objet représentant la culture asiatique décrite par le voyageur français, auteur de sa propre expérience du voyage ou passeuse non-voyageuses d’éléments culturels fondateurs.
Plusieurs axes de recherche (non exhaustifs ici) ont pu être envisagés afin de mettre en valeur la multiplicité des approches et des perspectives offertes par ce projet :
- représentation, par les témoignages écrits (les Mémoires, les rapports d’ambassade, les lettres des missionnaires, les témoignages oraux recueillis par écrit, etc., peuvent s’ajouter aux récits viatiques à proprement parler ), des femmes d’Asie (les sati par ex.)
- représentation, des « réceptrices » non-voyageuses (adresses, dédicaces, avis aux lecteurs.trices, débats dans les salons…) et de leurs réactions (« comment peut-on être indienne » ?)
- existence, ou pas, de récits de voyageuses donnant leur point de vue authentique ou fictif puisqu’il est fait mention de la « figure de la femme voyageuse » (de France vers Asie ? d’Asie vers France ?)
[1] Chevalier de Méré, Lettre à la Duchesse de Lesdiquières, 1656, dans Théophile Lavallée (éd.), Correspondance générale de Madame de Maintenon, publiée pour la première fois sur les autographes et les manuscrits authentiques avec des notes et des commentaires, Paris, 1865, p.65.
[2] Jean-Louis Margolin & Claude Markovits, Les Indes et l’Europe. Histoires connectées XVe-XXIe siècles, Paris, Gallimard, Folio coll. « Inédit histoire », 2015, 962 p.
PROPOSITIONS
Les propositions d’articles devront être envoyées sous format numérique à Mathilde Bedel : bedelmathilde@yahoo.fr au plus tard le 30 juin 2021 et seront accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique. Elles seront ensuite expertisées anonymement par deux rapporteurs. Les articles devront être envoyés, finalisés en décembre 2021.
La revue ne publie que des articles inédits.
Comité scientifique
- Odile Gannier, Professeur d’Université en Littérature Comparée, Membre du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des arts vivants (CTEL), Université Côte d’Azur.
- Huguette Krief, Présidente du CAER (Centre Aixois d’Études et de Recherches sur le XVIIIe siècle). Maître de conférence émérite. Habilitée à diriger des recherches Littérature du XVIIIe siècle, Centre Interdisciplinaire d’Étude des Littératures d’AixMarseille (CIELAM), Université Aix-Marseille.
- Sylvie Requemora, Directrice du CRLV (Centre de Recherche sur la Littérature de Voyages). Professeur d’Université, Centre Interdisciplinaire d’Étude des Littératures d’Aix-Marseille (CIELAM), Université Aix-Marseille.
- Ian Magedera, Senior Lecturer, Modern Languages and Cultures, Université de Liverpool.
- Catherine Servan-Schreiber, Chargée de recherche, Habilitée à diriger des recherches, CNRS Paris, Membre associé du Centre d’Études sur l’Inde et l’Asie du Sud, Paris.
Bibliographie indicative
Sources primaires
Ancien Régime
DU BOCCAGE, Anne-Marie, Recueil des œuvres de Madame du Boccage : augmenté de l’imitation en vers du poème d’Abel, en deux tomes, Lyon, 1770.
DU ROCHER, L’Indienne amoureuse ou l’Heureux naufrage, tragi-comédie, Paris, 1636.
GAYA, Louis de, Ceremonies nuptiales de toutes les nations, Paris : Michallet, 1681.
LA FONTAINE Jean (de), Discours à Madame de la Sablière (sur l’âme des animaux), Commentaire Littéraire et Philosophique par H.Busson et F.Gohin, Genève Librairie Droz, 1967.
LANNEL Jean (de), Romant des Indes. Par Jean de Lannel, écuyer seigneur du Chaintreau & du Chambort, Paris, Chez Toussaint du Bray, 1625.
LE METEL DE BOISROBERT, François, Histoire indienne d’Anaxandre et d’Orazie, où sont entremelées les avantures d’Alcidaris, de Cambaye & les amours de Pyroxène, Paris Pomeray, 1629.
MAINTENON, Madame de, Lettres inédites de Mme de Maintenon et de Mme la princesse des Ursins, 1635-1719, Paris, Bossange frères, 1826.
MONCORNET, Baltasar, Liure curieux contenant la naifve representation des habits des femme des diuerse parties du monde comme ells s’habillent a present, Paris : [No pub], 1662.
MURET, Pierre, Ceremonies funebres de toutes les nations, Paris : Michallet, 1677.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Henri, La Chaumière indienne, Paris : Didot, 1791.
CARACCIOLI, Louis-Antoine de, Lettres d’un Indien à Paris, à son ami Glazir sur les mœurs françoises et sur les bizarreries du tems, par l’auteur des “Lettres récréatives et morales”, 2 vols, Amsterdam and Paris : Briand, 1789.
CAROLET, La princesse de Golconde ou l’heureuse ressemblance, vaudeville en un acte présenté le 29 août 1737, dans Collection de pieces de théâtre formée par M. de Soleinne,[n.d.], [n.p.]
CHABER, Zulime, ou la Nouvelle veuve du Malabar, tragédie en 5 actes, en vers, [n.p.]: [n. pub.], 1785.
D’AMESTOY, Le Sacrifice de la veuve du Malabar, fait véritable, London and Paris : Gastelier, 1788.
DEMEUNIER, Jean-Nicolas, L’esprit des usages et des coutumes des différens peuples : ouvrage… sur les alimens & les repas, les femmes, le mariage, la naissance & l’éducation des enfans, les chefs & les souverains, la guerre, la distribution des rangs, la servitude & l’esclavage, la pudeur, la parure, les modes, la société & les usages domestiques, les loix pénales, les supplices, la médecine, la mort, les funérailles, les sépultures, etc.- Londres : Paris : Pissot, 1776.- 3 vol
GAYA, Louis de, Ceremonies nuptiales de toutes les nations, Paris : Michallet, 1681.
GOMEZ, Madeleine-Angélique de, Crémentine, reine de Sanga. Histoire indienne. Par Madame de Gomez, Paris, P.Prault, en 2 tomes, 1727.
GUEILLETTE, Thomas-Simon, Les Sultanes de Guzarate ; ou Les Songes des hommes éveillés, contes mogols, 3 vol., Paris : P. Prault 1732.
GUEILLETTE, Thomas-Simon, La suite des sultanes de Guzaratte, ou Les songes des hommes éveillés, contes mogols,dans Le cabinet des fées ou collection choisie des contes de fées et autres contes merveilleux, Tome 23, Amsterdam and Paris, 1786.
LE MIERRE, Antoine-Marin, La Veuve du Malabar, ou l’Empire des coutumes, Paris : Duchesne, 1780.
PARISAU, Pierre-Germain, La Veuve de Cancale, parodie de la “Veuve du Malabar”, en 3 actes et en vers, Paris : Vente, 1780.
SAURIN, Bernard-Joseph, Mirza et Fatmé, conte indien, The Hague : [n. pub.], 1754.
Sources critiques
BEASLEY, Faith, « Salons and Curiosity: Encounters with India », in Origines: Actes du 39e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature. eds. Thomas Carr and Russell Gamin. Tübingen: Gunter Narr Verlag, 2009 : 345-353.
BEASLEY, Faith, « Decentering the European Imaginary : A Baroque Taste for India » in The Oxford Handbook of the Baroque. Ed. John D. Lyons. Oxford: Oxford UP, 2018.
BEASLEY, Faith, « Réseaux mondains et création littéraire » in Lendemains: Etudes comparées sur la France, volume titled “Du genre de la littérature” eds. Lieselotte Steinbrügge and Hendrik Schlieper. Vol 41, no. 162/163, January 2016, 137-49.
BEASLEY, Faith, Versailles Meets the Taj Mahal: François Bernier, Marguerite de La Sablière and Enlightening Conversations in Seventeenth-Century France, Toronto : University of Toronto Press, 2018.
CHASSAGNE, Serge, Une Femme d’affaires au XVIIIe siècle. La correspondance de Madame de Maraise, collaboratrice d’Oberkampf, Toulouse, Éditions Privat, 1981.
ESTABLET, Colette, Répertoire des tissus indiens importés en France entre 1687 et 1769. Nouvelle édition [en ligne]. Aix-en-Provence : Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, 2017 (généré le 12 janvier 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/iremam/ 3841>. ISBN : 9782821881549. DOI : https://doi.org/10.4000/books.iremam.3841.
HAASE-DUBOSC, Danielle, « Intellectuelles, femmes d’esprit et femmes savantes au XVIIe siècle », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 13 | 2001, 13 | 2001, 43-67.
TROTOT, Caroline, DELAHAYE, C., Mornat, I., Femmes à l’oeuvre dans la construction des savoirs. Paradoxes de la visibilité et de l’invisibilité, Collection Savoirs en texte, laboratoire Littératures, Savoirs et Arts, Université Gustave Eiffel, 2020.