Ces méchantes lettres : XVIe-XXIe siècles (revue Épistolaire)

  • End date:
    15/11/2021, 00:00

Ces méchantes lettres : XVIe-XXIe siècles, Appel à contributions pour le numéro 49 de la revue Épistolaire (Champion)

Lettre de M. de Benavides sur la corruption aux Philippines. (13 juillet 1601) AGI, FILIPINAS,76,N.45

Lettre de M. de Benavides sur la corruption aux Philippines. (13 juillet 1601) AGI, FILIPINAS,76,N.45

La lettre qualifiée de « méchante » parce que jugée mal « tournée » ou trop courte, ou parce qu’adoptant un ton inadapté pour son destinataire, est, chez les épistoliers d’expression française de tous les temps, poètes ou philosophes, écrivains ou correspondants « ordinaires », voyageurs ou scientifiques, une catégorie ou désignation peut-être aussi récurrente que celle des « bonnes lettres » (C. Dauphin, P. Lebrun-Pézerat et D. Poublan). Pensons à Madame de Sévigné qui, en s’adressant à M. de Coulanges en 1695, s’excuse d’emblée de la concision excessive de sa réponse à une lettre, fort détaillée, reçue de sa part à lui : « Je ne vous écrirai qu’une très-petite méchante lettre, mon aimable, pour vous remercier de la vôtre, qui nous a fait un très-grand plaisir ». De même, le lien entre l’écriture et toute forme d’impolitesse qui suppose une intention blessante (C. Denizot) est lieu commun dans la critique non seulement des lettres de rupture amoureuse, « dernières lettres » (M. Delvaux) ou « modalités illicites » (N. Roelens) de l’épistolaire comme la lettre anonyme (P. Artières), d’injure, de calomnie ou de menace, cas de méchanceté extrême s’il en est, mais parfois aussi des « lettres critiques » datant au moins de l’époque de Voltaire (G. Haroche-Bouzinac). Historiens, sociologues et critiques littéraires ont fait remarquer le pouvoir de ces lettres, un pouvoir qui peut être aussi stimulant que contrariant pour le sujet visé. L’expression de la contestation (E. Gavoille et F. Guillaumont) a beau avoir lieu dans le cadre d’une langue qui laisse peu de place aux termes grossiers, elle peut mettre le principal concerné dans une position d’obligation à se soumettre. Peut-être plus nombreux sont les cas de « méchanceté » repérés par le correspondant amoureux dont les attentes se trouvent déçues. Pour Jean Giraudoux, par exemple, il devait y avoir quelque chose de douloureux et d’aiguillonnant à la fois, à recevoir de sa bien-aimée une « correspondance sans confiance et sans tendresse », car dans une de ses Lettres à Suzanne nous lisons : « Je t’écris aujourd’hui pour qu’il y ait au-dessus de tes méchantes lettres ce petit papier qui m’en sépare et qui me donne à toi ». Jacques Derrida laissait bien entendre que la missive (même celle méchante ?) avait toujours quelque chose d’une lettre d’amour, cette forme d’épistolaire à enjeux particulièrement relationnels (R. Amossy).

S’inscrivant dans la lignée de ces rapprochements entre épistolarité et méchanceté, notre dossier entreprendra d’examiner comment, depuis le XVIe siècle à nos jours, certaines missives ou catégories d’écrits adressés – qu’il s’agisse de lettres de menaces, d’injures, de critique, de rupture ou de refus, ou encore de lettres aux éditeurs ou aux ennemis politiques (la liste n’est pas exhaustive) – amènent à penser plus avant tant la signification de la lettre que la porosité (B. Diaz) du genre épistolaire. Nous nous intéresserons à la manière dont « ces méchantes lettres » rappellent ou écartent – par leur ton, leur langage, leur teneur, leurs enjeux ou leur réception envisagée – d’autres formes épistolaires. Deux grands axes seront alors privilégiés : esthétique et rhétorique, d’une part, et discursif ou socio-politique, d’autre part. Parmi les pistes de recherches ou de réflexions possibles, nous proposons les suivantes : Comment s’articule – et comment comprendre – la relation entre « bonnes » et « mauvaises » lettres ? La méchanceté, synonyme de médiocrité, d’impolitesse ou d’injure, doit-elle être comprise comme cela même qui vise nécessairement à faire (ré)agir ou encore à modifier un état de choses politique ? Peut-elle être atténuée par la manière dont les mots se suivent, donc par une manipulation qui relève du tour de force littéraire ou de l’exercice des principes de rhétorique ? Un vocabulaire particulier est-il associé aux lettres méchantes qui œuvre à la production d’une image des épistoliers ? Que pouvons-nous dire des impertinences ou menaces lorsqu’elles sont démunies de signatures ? Quel sens donner aux lettres, expédiées ou publiées, qui font jouer ce qui est « méchant » avec ce qui l’est moins ?

Avant le 15 novembre 2021, nous accueillerons des propositions d’articles (résumé de 250 mots, accompagné d’une notice bio-bibliographique) qui croiseront la notion d’épistolarité avec celle de méchanceté afin d’explorer plus avant la signification ou la porosité générique de la lettre. Les propositions porteront sur les correspondances authentiques, ou sur les lettres destinées à être publiées quoiqu’écrites sur le ton d’une vraie confidence (à l’exception du roman épistolaire). La vocation de la revue Épistolaire étant interdisciplinaire, ce numéro voudra ouvrir ses pages aux contributions en études littéraires et en sciences sociales de tous les horizons disciplinaires.

Responsables du dossier

Karin Schwerdtner kschwerd@uwo.ca

Geneviève De Viveiros gdevivei@uwo.ca