Citer les psaumes du XIVe au XVIe siècle

Citer les psaumes du XIVe au XVIe siècle

Journée d’étude

Leonard de Vinci, Annonciation (détail), 1472-75, Florence, Galerie des Offices (WGA)

Leonard de Vinci, Annonciation (détail), 1472-75, Florence, Galerie des Offices (WGA)

Université Paris Nanterre, 21 mai 2025

Au début du chapitre 41 de Gargantua, alors que le géant ne trouve pas le sommeil, le moine lui propose de réciter les psaumes afin de s’endormir. La méthode se révèle diablement efficace : « L’invention pleust tresbien à Gargantua. Et commenceant le premier psaulme, sus le poinct de Beati quorum, s’endormirent et l’un et l’aultre »1. Comme le signale Michel Jeanneret, une certaine lassitude vis-à-vis des psaumes s’est installée à la veille de la Réforme : les humanistes décrient leur récitation automatique, et Rabelais suggère à quel point les esprits sont saturés de citations psalmiques2.

La satire rabelaisienne laisse entendre que les psaumes ont irrigué la liturgie et la littérature pendant plusieurs siècles. On sait qu’ils sont largement diffusés au Moyen Âge, tant par les psautiers que par une culture commune formée par les offices religieux où ils sont récités, et qu’ils sont très rapidement traduits en langue vernaculaire. Pour la période qui nous intéresse, le développement de la devotio moderna et d’une approche plus personnelle et individuelle de la pratique religieuse s’accompagne de la multiplication des livres d’heures aux XIVe et XVe siècles3 dont le noyau central est constitué des vingt-huit psaumes de l’office de la vierge, des sept psaumes pénitentiels4, des litanies, de l’office des défunts et des suffrages. Martin Morard a par ailleurs observé que les psautiers du XVe siècle ont pu subir un infléchissement en étant organisés selon l’ordre de récitation des psaumes dans la liturgie des heures plutôt que selon l’ordre du canon biblique5. Dans le même temps, se multiplient les livres de spiritualité qui ont pour enjeux d’accompagner et guider les destinataires, tant laïcs que religieux, dans leur pratique religieuse. Ces ouvrages, principalement des méditations sur la Passion et des invitations à approfondir la connaissance de soi pour connaître Dieu6, s’appuient bien souvent sur des faisceaux de citations bibliques – dont les psaumes – glosées par les auteurs. Agnès Passot note bien qu’à l’aube de la Renaissance, « les auteurs de littérature morale et spirituelle (…) puisent abondamment dans tout ce qui peut donner du goût et de la couleur à l’enseignement moral ou spirituel, qu’il s’agisse de livres bibliques comme Le Cantique des Cantiques ou les Psaumes, ou des fictions allégoriques léguées par le Moyen Âge comme Le Roman de la Rose »7. Ainsi, si les livres d’heures ont remplacé le Psautier8, les psaumes continuent d’être largement utilisés – cités – dans la littérature spirituelle et dévotionnelle de la fin du Moyen Âge. Par ailleurs, et sans surprise, ils continuent d’occuper une place de choix dans la pastorale et sont abondamment cités, paraphrasés et glosés dans les sermons, de Gerson par exemple9. Il ne faudrait néanmoins pas limiter la citation psalmique aux œuvres morales et spirituelles puisque cette culture commune irrigue la littérature dans toute sa diversité. Isabelle Fabre a ainsi démontré, par exemple, la contamination de l’imaginaire courtois par des images empruntées aux Psaumes dans plusieurs pièces du Recueil de Chypre, composé au XVe siècle10.

Au début de l’époque moderne, le goût pour les psaumes ne faiblit pas, tant s’en faut. Chez les hommes de lettres, les entreprises de traduction et de réécriture se multiplient11. Sur le plan confessionnel, l’importance des psaumes dans la diffusion de la Réforme est un lieu commun de l’historiographie12. La critique, qui n’a pas manqué de souligner la place privilégiée qu’occupent les psaumes dans la Bible, a relevé le rôle tout particulier qu’ils jouent chez les huguenots. Le Psautier de Genève (1562, pour la première édition complète), fruit de la collaboration de Calvin avec Marot et Bèze, en est l’une des manifestations les plus éclatantes. Peu à peu, les psaumes s’intègrent à l’identité protestante, notamment en terre francophone. Par ailleurs, si les pratiques cultuelles des Églises réformées accueillent avec bienveillance l’utilisation des psaumes en français, ils sont ailleurs cantonnés au seul usage privé. Comme l’indique Véronique Ferrer, les réformés attribuent un rôle majeur à la piété cultuelle enracinée dans une oralité dynamique : de même que les prières publiques et domestiques, le chant des psaumes y participe pleinement13. Écoutés, chantés, ils sont également mis en musique : chez Marot et Bèze, les psaumes « mis en rime françoise » sont accompagnés de partitions14. Pour autant, cette prédilection n’est pas un monopole. Chez les catholiques, les psaumes ne désertent pas les offices liturgiques. Le psautier marotique, auquel répond la traduction concurrente de Baïf à la fin des années 1560, suscite les attaques acerbes d’Artus Désiré, dans le Contrepoison des cinquante-deux chansons de Clément Marot (1560). À l’automne de la Renaissance, on continue de traduire les psaumes, comme l’illustrent Blaise de Vigenère et Philippe Desportes. Plus largement, les psaumes s’imposent comme un matériau très fécond à la base de créations littéraires, des Méditations de Sponde (1588) aux Paraphrases de Chassignet (1613) et bien sûr de Malherbe. Du Moyen Âge tardif au début du XVIIe siècle, les psaumes semblent être partout.

Les travaux universitaires sur les psaumes sont nombreux et plusieurs colloques ou journées d’étude ont eu lieu ces dernières années15 mais aucun à notre connaissance ne s’est strictement intéressé au seul fait de citer, pourtant acte premier dans le travail de commentaire et d’exégèse16. Notre questionnement portera donc spécifiquement sur l’action de citer les psaumes. Sont ainsi exclues du corpus d’étude les reformulations, traductions et gloses qui ne les citeraient pas explicitement. Plusieurs interrogations peuvent orienter l’étude :

Quels corpus ? Où citer ?

La Bible elle-même cite les psaumes : des évangiles à l’Apocalypse, les rédacteurs du Nouveau Testament les mobilisent abondamment. Dans la liturgie, ils occupent également une place de premier ordre. On s’intéressera dès lors à la diversité des textes qui citent les psaumes. De la littérature spirituelle et morale aux textes fictionnels en passant par les œuvres techniques et didactiques, tous les corpus semblent les intégrer. On pourra aussi s’intéresser à la manière dont les psaumes s’intègrent dans des corpus qui dialoguent avec d’autres religions, l’Islam par exemple.

Que citer ?

Dans la mesure où les Livres d’heures tendent à remplacer le psautier, on pourra se demander quels psaumes sont le plus cités par les auteurs. Les psaumes pénitentiels, par exemple, sont-ils surreprésentés dans les enquêtes ? Constate-t-on une récurrence systématique des mêmes psaumes d’un texte à l’autre ? Si oui, quelle logique (interne au texte ou liée au contexte) justifie ce retour ?

Comment citer ?

L’Histoire des traductions en langue française présente le psautier comme le « best-seller de la traduction »17. Il convient donc de se demander dans quelle langue sont cités les psaumes. En latin ? En vernaculaire ? À la fin du Moyen Âge, Gerson, défend l’idée selon laquelle la récitation en latin des psaumes par des gens qui ne comprennent pas la langue est tout de même profitable18, mais nombreux sont les textes où l’on constate une situation de bilinguisme, le vernaculaire accompagnant systématiquement le latin. Au XVIe siècle, y a-t-il des marquages confessionnels dans le choix des traductions retenues ?

D’un point de vue matériel, comment se présentent les citations psalmiques dans les imprimés ? Sont-elles détachées du corps du texte, mises en évidence par la versification, ou bien intégrées à la prose ? Quand Ambroise Paré, dans son Traicté de la peste, détache les citations qu’il tire des psaumes 68 et 6, Antoine Royet, qui recopie largement son prédécesseur pour écrire son propre traité, ne démarque pas ces mêmes citations du reste du texte19.

Les citations psalmiques sont-elles annoncées par une formule qui en singulariserait la nature (« Comme dit le psalmiste… ») ? Une manchette en indique-t-elle la source ? Seul le psaume est-il cité, ou bien est-il accompagné d’une exégèse qui n’est pas du fait de l’auteur ?

Pourquoi citer ?

La contrition exemplaire de David, à qui est attribuée une grande partie du psautier, fait de la citation psalmique un moyen efficace de susciter la piété d’un lecteur ou d’un auditeur. Depuis les Enarrationes in psalmos d’Augustin, la portée christologique du livre retient l’attention des lecteurs. C’est donc la question du public qui se pose ici. Outre leurs enjeux théologiques et moraux, les psaumes entretiennent des liens puissants avec la poésie : ne peuvent-ils pas aussi être cités pour leur poéticité ?

Selon l’œuvre dans laquelle les psaumes sont cités, le rapport à la musique, au chant, à la performance entre-t-il en jeu ? Les psaumes seraient-ils choisis pour sous-tendre une réflexion sur la musique ou confèreraient-ils une musicalité au texte dans la perspective d’une mise en voix pour un sermon ou une œuvre musicale (motet, ballade, …), par exemple ?

Cette journée d’étude, qui s’adresse en priorité aux jeunes chercheurs, souhaite réunir des spécialistes de différentes disciplines (littérature, théologie, histoire, musicologie). Elle se tiendra le 21 mai 2025 à l’Université Paris Nanterre.

Les propositions (titre, résumé de 500 mots maximum et brève bio-bibliographie) sont à envoyer pour le 15 décembre 2024 aux adresses suivantes : decorps.baptiste@parisnanterre.fr et anthony.le-berre@univ-amu.fr. Une publication des actes est envisagée.

Comité d’organisation : 

Baptiste Decorps (CSLF, Université Paris Nanterre)

Anthony Le Berre (CIELAM et TELEMMe, Aix-Marseille Université)

Comité scientifique :

Isabelle Fabre (Université Paris Nanterre)

Véronique Ferrer (Université Paris Nanterre)

Cédric Giraud (Université de Genève)

Lydie Louison (Université Jean Moulin Lyon III)

Tristan Vigliano (Aix-Marseille Université).

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[1] François Rabelais, Gargantua, dans Œuvres complètes, éd. Mireille Huchon, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, p. 113.
[2] Michel Jeanneret, Poésie et tradition biblique au XVIe siècle, José Corti, 1969, p. 17.
[3] Agnès Passot-Mannooretonii, Poètes et pédagogues de la Réforme catholique, notamment le chapitre « Les genres dévotionnels à la fin du Moyen Âge. Pénitence et méditation de la Passion », Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 77-241. On se reportera aussi à « La littérature religieuse » dans Geneviève Hasenohr, Textes de dévotion et lectures spirituelles en langue romane (France XIIe-XVe siècles), Turnhout, Brepos, « Texte, Codex & Contexte », 2015, p. 27-76.
[4] Ces sept psaumes de pénitence sont glosés de manière originale par Christine de Pizan dans les Sept psaumes allégorisés en 1409. On se reportera aux premières pages de l’introduction pour un panorama historique sur la diffusion de ces psaumes, tant auprès d’un public religieux que laïc dans : Christine de Pizan, Les sept psaumes allégorisés, éd. B. Ribémont et C. Reno, Paris, Champion, « Études christiniennes », 2017.
[5] https://big.hypotheses.org/1031
[6] « Le but commun de ces élévations, d’inspiration bien différente, étant de susciter chez les lecteurs la reconnaissance puis l’amour, par une évocation saisissante du contraste entre l’immensité de la charité divine et celle du néant et de l’ingratitude de l’homme. » (Geneviève Hasenohr, op. cit., p. 52).
[7] Agnès Passot-Mannooretonii, op. cit., p. 89.
[8] « Les Heures ont pris la place jadis tenue par le Psautier dans la dévotion des laïcs. » (Geneviève Hasenohr, op. cit., p. 66).
[9] Jean Gerson, Œuvres complètes, éd. Glorieux, t. VII, L’œuvre française, 1966.
[10] Isabelle Fabre, « “Le cerf à la fontaine.” Dérivation d’un thème psalmique dans les pièces françaises du recueil de Chypre (Turin J.II.9) », dans Véronique Ferrer et Jean-René Valette (dir.), Écrire la Bible en français au Moyen Âge et à la Renaissance, Genève, Droz, « Travaux d’humanisme et de Renaissance », 2017, p. 371-386.
[11] Voir la Bibliographie des Psaumes imprimés en vers français, éd. Jean-Daniel Candaux, Bettye Thomas Chambers, Jean-Michel Noailly, Genève, Droz, 2022.
[12] Luc Daireaux, « Le chant des psaumes, marqueur de l’identité huguenote au XVIIe siècle », dans Olivier Christin, Yves Krumenacker (dir.), Les Protestants à l’époque moderner : une approche anthropologique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 165.
[13] Véronique Ferrer, Exercices de l’âme fidèle : la littérature de piété en prose dans le milieu réformé francophone (1524-1685), Genève, Droz, 2014, p. 13-14.
[14] Le lien entre psaumes et musique apparaît comme un lieu commun. Michel Zink, dans le cours donné au Collège de France en 1998-99, avait étudié les deux plus anciens commentaires français du psaume 150, datant de la fin du XIIe siècle, qui réfléchissent justement sur la musicalité du texte et le sens mystique qui est associé à cette musique.
[15] « Redécouvrir les psaumes » à Vaux-sur-Seine en 2012, « Éditer et interpréter les psaumes en français (XVIe-XVIIIe siècles) » à Poitiers en 2015, « Les psaumes de David » à Arras en 2017, pour ne citer que les journées entièrement consacrées aux psaumes.
[16] Antoine Compagnon parle de la citation comme étant « le geste élémentaire » « de toute pratique du texte » dans l’avant-propos de La Seconde main.
[17] Véronique Duché (dir.), Histoire des traductions en langue française. XVe et XVIe siècles, Lagrasse, Verdier, 2015, p. 485.
[18] Jean Gerson, La Mendicité spirituelle, dans les Œuvres complètes, t. VII, op. cit.
[19] Ambroise Paré, Traicté de la peste, Paris, André Wechel, 1568, p. 7-8 ; Antoine Royet, Excellent traicté de la peste, Genève, Jean Durant, 1583, p. 8-9.