Évoquer « sous le voile de silence » : l’auctorialité implicite dans les œuvres composites de la Première Modernité
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End date:30/05/2024, 00:00
Évoquer « sous le voile de silence » : l’auctorialité implicite dans les œuvres composites de la Première Modernité
Coordination
Deuxième Journée d’étude PROC (2024), coordonnée par Michela Lagnena (ILLE, Université de Haute-Alsace et Université Ca’Foscari-Venise), avec la collaboration de Guillaume Porte (ARCHE, Unistra)
Argumentaire
Organisée dans le cadre du projet PROC (Pratiques de Référencement dans les Œuvres Composites des XVIe-XVIIe siècles) soutenu par la Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme d’Alsace (MISHA) en 2023 et 2024, la journée d’étude « Évoquer “sous le voile de silence” : l’auctorialité implicite dans les œuvres composites de la Première Modernité », qui aura lieu le 22 novembre 2024 à Strasbourg, vise à analyser les méthodes par lesquelles sont traitées dans les éditions critiques papier et numérique l’identification et l’analyse des autorités implicites dans la production des « œuvres composites » de la Première Modernité. Cette réflexion s’inscrit dans la lignée d’une première journée d’étude qui s’est tenue en novembre 2023, « Éditer les compilations de la Renaissance. La référence explicite : de l’index au référentiel », organisée par Romane Marlhoux et Madeleine Hubert. Ces deux journées entendent mener une réflexion plus large sur les conditions d’édition de l’« œuvre composite » des XVIe et XVIIe siècles, entendue comme « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans [ou avec] la collaboration de l’auteur de cette dernière » (voir les perspectives d’analyse présentées dans le dossier « Éditer les œuvres composites de la Renaissance », paru dans la revue Seizième Siècle, avril 2024).
La journée consacrée à l’auctorialité implicite mettra plus spécifiquement l’accent sur la manière dont le dispositif éditorial peut venir éclairer l’identification et/ou l’élucidation des enjeux de la signature, de l’attribution et plus généralement de la paternité littéraire. Encouragés par l’essor de l’imprimerie et l’apparition de nouvelles dynamiques éditoriales, de nombreux ouvrages, tels les florilèges, anthologies, recueils d’auteur et recueils collectifs voient le jour lors de la première modernité, tandis que l’émergence, promue par la culture humaniste, de la notion d’individu encourage l’identification de l’œuvre par la pratique de la signature. Ainsi Marot apporte-t-il en guise d’auteur-éditeur plusieurs interventions aux compositions variées de L’Adolescence Clémentine, dont il ne manque pas, au fil de ses rééditions, d’affirmer sa paternité.
En dépit de l’épanouissement d’une conscience individualiste dans le domaine littéraire, il se peut que la marque personnelle, la signature et l’attribution des textes restent voilées, conformément à l’usage répandu au Moyen-Âge. Le principe de dissimulation prend des formes complexes, comme en témoignent les diverses pratiques de l’anagramme, de l’acronymie, de la cryptonymie et de la pseudonymie, employées comme dédoublement et déguisement auctoriaux. Le pseudonyme mentionné dans le titre des Comptes amoureux par Madame Jeanne Flore touchant la punition que faict Venus de ceulx qui contemnent et mesprisent le vray Amour cache ainsi, selon l’hypothèse la plus attestée par la critique moderne, l’identité de plusieurs plumes ayant contribué à la composition du volume. Le camouflage de la paternité des textes peut aussi prendre la forme de l’anonymat, comme dans le recueil des Diverses poésies nouvelles données à R. D. P. Val par ses amis. L’anonymat ne relève pas toujours d’une occultation intentionnelle de l’auctoritas, que vient illustrer la publication des Ordonnances générales d’amour, mais il peut également résulter d’une perte d’informations sur l’attribution des textes.
Le recours à l’implicite concerne également les textes de fiction. L’usage de la cryptonymie peut constituer un ressort de l’habilité rhétorique du scripteur qui cherche à brouiller le lecteur. L’éviction du nom de la destinataire dans quelques recueils épistolaires amoureux de la Renaissance relève d’une pratique courante qui joue de l’ambivalence de la référentialité de la lettre dans l’espace fictionnel. De même, les recueils lyriques d’inspiration pétrarquiste relèvent souvent de l’argument de l’honneur de la dame qui prime sur le dévoilement de l’identité de la muse inspiratrice. Aussi Pontus de Tyard choisit-il de chanter sa dame sous le nom d’emprunt de Pasithée. Le pseudonyme permet aussi le dédoublement de l’auteur dans divers personnages, comme dans le genre du dialogue qui favorise la démultiplication des points de vue.
Interpréter le rôle de l’implicite et de ses manifestations lors de l’édition critique d’œuvres de cette période nécessite de définir les modalités d’expression du tacite ainsi que le processus de dévoilement engagé : sommes-nous face à un procédé complexe qui sous-tend la portée significative de l’œuvre ? Quel rôle le voilé joue-t-il ? Ces réflexions comportent, suivant une logique exégétique, le choix de méthodologies, d’analyses, d’opérations aptes à l’identification et à la reconstruction du dissimulé dans le contexte littéraire de l’époque moderne. Comment faire éclater, dans le cas spécifique des œuvres composites des XVIe-XVIIe siècles, ce qui se passe, pour reprendre l’expression d’Étienne Pasquier, « sous le voile de silence » ?
Nous invitons à poser la question de la signature et de l’auctorialité voilées, éléments intrinsèques des problématiques qui surgissent dans la production littéraire humaniste. Ces aspects seront interrogés à l’aune des différentes pratiques qu’offre un travail d’éditorialisation. Il s’agira plus précisément d’examiner dans quelle mesure l’inaltérabilité du format papier et l’interopérabilité de l’outillage numérique entraînent, dans le cadre de l’édition critique, des approches, des démarches et des perspectives à la fois singulières et complémentaires. Nous accepterons toute intervention qui veille à montrer la manière dont ces supports permettent d’interroger, d’interpréter, de reconstruire et de représenter la référence implicite dans l’œuvre composite de la Renaissance.
Modalités de contribution
Les propositions de communication, en français, sont à adresser à :michela.lagnena@uha.fret gporte@unistra.fr
Elles doivent comprendre :
- un résumé de 300 mots environ
- une brève présentation bio-bibliographique
Format des communications : 20’+10’
Date limite d’envoi des propositions : 30 mai 2024
Réponse du Comité : 10 juin 2024
Date Journée d’étude : 22 novembre 2024
Lieu Journée d’étude : Strasbourg (frais de déplacements et d’hébergement pris en charge)
Publication des actes prévue
Comité scientifique
- Jean-Charles Monferran
- Joana Casenave
- Michèle Clément
- Sandra Provini
Bibliographie indicative
Bertrand (2005) : Bertrand, Dominique, « Autrement dire : les jeux du pseudonyme chez Noël du Fail », Seizième Siècle, 1, p. 257-266.
Douchet, Naudet (2016) : Douchet, Sébastien, Naudet, Valérie (dir.), L’Anonymat dans les arts et les lettres au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence.
Duccini (2002) : Duccini, Hélène, « L’anonymat des auteurs et des imprimeurs du XVIe au XVIIe siècle », MédiaMorphoses, 5, p. 43-46.
Fanlo (2000) : Fanlo, Jean-Raymond (dir.), « D’une fantastique bigarrure ». Le texte composite à la Renaissance, études offertes à André Tournon, Paris, Honoré Champion.
Jacques-Lefèvre, Leca-Tsiomis (2007) : Jacques-Lefèvre, Nicole, Leca-Tsiomis, Marie (dir.), Écriture, identité, anonymat de la Renaissance aux Lumières, Actes du Colloque Paris X-Nanterre juin 2006, Nanterre, Université Paris X.
Magnien (2013) : Magnien, Catherine, « Étienne Pasquier (1529-1615) ou la dissidence discrète », Les Dossiers du Grihl [en ligne], URL : http://journals.openedition.org/dossiersgrihl/5748.
Mahrer, Réach-Ngô (2022) : Mahrer, Rudolf, Réach-Ngô, Anne (dir.), « L’œuvre recomposée », Littérature, 208, Paris, Armand Colin.
Martens (2017) : Martens, David (dir.), La pseudonymie dans la littérature française : De François Rabelais à Éric Chevillard, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Martin, Servet, Tournon (2008) : Martin, Daniel, Servet, Pierre, Tournon, André (dir.), L’énigmatique à la Renaissance : formes, significations, esthétiques, Actes du colloque organisé par l’association Renaissance, Humanisme, Réforme, Lyon, 7-10 septembre 2005, Paris, Honoré Champion.