Le Pur et l’Impur : Figurations de la souillure et aspirations à la pureté dans la littérature, du Moyen Âge à nos jours (Amiens)
Colloque national de jeunes chercheurs
Université de Picardie Jules Verne,
Amiens, 24-25 septembre 2019 – Logis du Roy, square Jules Bocquet, 80000 Amiens
Colloque organisé par les laboratoires CERCLL et TRAME, ED 586
Présentation
L’aspiration à la pureté s’accompagne invariablement de la déploration d’une perte ou d’un inachèvement. La pureté s’inscrit toujours implicitement dans un récit tendu entre des directions opposées. Ce récit s’est longtemps déployé dans le cadre d’une anthropologie chrétienne de chute symbolique où le présent n’est plus qu’une marche laborieuse vers un avenir qui signera le retour vers la pureté originelle – rêvée et fantasmée – d’un temps mythique. Mais depuis le XIXe siècle, ce récit est désormais de plus en plus informé par une anthropologie évolutionniste où l’homme tente de s’arracher à son impureté originelle grâce au processus de civilisation historique, mais manque toujours d’y retomber.
Ineffable, la pureté ne semble pas exister, pas même chez le saint, sinon comme idéal régulateur. Comme le conclut Colette dans son essai intitulé Le Pur et l’impur, « le mot pur ne m’a pas découvert son sens intelligible ». Le réel au contraire permet de dire l’impureté, des corps, des intentions, car il est le lieu par excellence du mélange, des compromis et des ambivalences, du devenir et de la corruption. Les jugements de pureté et d’impureté engagent ainsi tout un système symbolique dont les implications métaphysiques, philosophiques, morales, politiques et esthétiques doivent être questionnées, et qui, loin d’être considérés comme des objets immuables, doivent être historicisés.
Ce colloque de jeunes chercheurs se propose donc d’étudier les différentes constructions des notions de pureté et d’impureté en littérature, et selon un vaste spectre temporel, du Moyen Âge à nos jours.
Axes
La réflexion pourra s’articuler autour d’une ou plusieurs de ces problématiques :
- Figurations : Comment les textes représentent-ils le couple du pur et de l’impur ? Comment le pur et l’impur se donnent-ils à lire ou à voir ? Quelles sont les preuves qui permettent de conclure à l’un ou l’autre et comment s’y lient le corps et l’âme, le physique et le moral ? Une attention particulière pourra être portée aux représentations de figures archétypales de la pureté et/ou de l’impureté telles que les saints, les bâtards ou certaines minorités comme les juifs, les lépreux et les sorcières dans les littératures médiévales et modernes.
- Écriture : Comment les représentations de la souillure et d’une éventuelle purification informent-elles les structures et thèmes des récits du Moyen Âge à nos jours ? Est-il possible de noter des inflexions en fonction des périodes et des genres littéraires ? Ces représentations peuvent-elles se concevoir en dehors de l’anthropologie chrétienne de la chute et de la rédemption ? La référence chrétienne est-elle systématiquement engagée dans la pensée de cette dialectique de la souillure et de la purification ?
- Enjeux politiques et polémiques : les discours sur la pureté et l’impureté sont loin de se limiter à la stricte sphère spirituelle, ils irriguent les représentations sociales et les discours politiques et polémiques, qu’il s’agisse de la pureté du sang en régime monarchique, ou de celle de la race à partir du XIXe, en passant par la construction du « sang impur » des ennemis de la Nation qu’invite à combattre La Marseillaise. On pourra donc se demander comment les textes font de la pureté un usage polémique voire pamphlétaire, et comment le couple du pur et de l’impur est réinvesti en fonction des différents contextes politiques et/religieux propres à chaque époque.
- Symbolique et représentations : le pur et l’impur se déclinent plus largement dans quasiment tous les domaines de l’existence humaine. Comme l’a montré Mary Douglas, ces concepts impliquent une méditation générale « sur le rapport de l’ordre au désordre, de l’être au non-être, de la forme au manque de forme, de la vie à la mort »[1]. Ce caractère général explique le facile déplacement de ces concepts dans des domaines divers de l’expérience humaine. Cette faculté d’adaptation et sa mise en texte pourront faire l’objet de questionnements. Jusqu’où peuvent se propager les concepts du pur et de l’impur, et comment s’entrecroisent-ils avec d’autres couples conceptuels comme le propre et le sale ? Comment les textes jouent-ils de ces déplacements et sous quelles formes métaphoriques peuvent se retrouver le pur et l’impur ? Comment s’entrecroisent alors différents discours de savoir et/ou de croyance, tels que la théologie, les discours médicaux et les discours moraux autour d’objets variés que la qualification de purs ou d’impurs invite à considérer sous un jour nouveau ?
- Réceptions : qu’est-ce qui rend un texte pur ou impur ? L’impureté ou la pureté d’un texte sont-elles consubstantielles à celui-ci, dans sa forme et son contenu, ou sont-elles le fait de l’observateur ? Quel rôle joue la réception dans l’assignation d’impureté d’un texte ? Quels sont les arguments avancés pour justifier ces considérations ? Ces perceptions survivent-elles à l’époque de leur émission? L’impureté clamée par les détracteurs des textes ne serait-elle pas, à tout prendre, du fait du lecteur bien plus que de l’auteur, comme nous le rappelle La Critique de L’École des femmes, dans laquelle Uranie rétorque à Climène, qui prétend que la pièce est obscène : « Il faut donc que pour les ordures, vous ayez des lumières, que les autres n’ont pas : car pour moi je n’y en ai point vu »[2]?
1 Mary Douglas, De la souillure : essai sur les notions de pollution et de tabou[1966], Paris, La Découverte, 1992, p. 27.
2 La Critique de L’École des femmes, scène III.
Bibliographie indicative :
– Georges Bataille, L’Érotisme, Paris, éditions de minuit, 1957 ; « L’Abjection et les formes misérables », Œuvres complètes, II, Écrits posthumes 1922-1940 , Paris, Gallimard, 1972, p. 217-221.
– Alain Corbin, Une histoire des sens, Paris, Robert Laffon, 2016 ; Histoire du corps (dir.), Paris, Seuil, 3 volumes, 2011.
– Mary Douglas, De la souillure : essai sur les notions de pollution et de tabou[1966], Paris, La Découverte, 1992.
– Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, Paris, PUF, 2012.
– Béatrice Didier, L’Infâme et le sublime. Quelques représentations du sacré des Lumières au Romantisme, Paris, Honoré Champion, 2017.
– Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973.
– René Girard, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.
– Vladimir Jankélévitch, Le Pur et l’impur, Paris, Flammarion, 1960.
– Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur : essai sur l’abjection, Paris, Seuil, 1980.
– William Ian Miller, Anatomy of disgust, Cambridge (Mass.), Harvard university press, 1997.
– Antonio Pinelli, La bellezza impura : arte e politica nell’Italia del Rinascimento, Roma-Bari, Laterza, 2004.
– Fabrizio Vecoli, Il sole e il fango : puro e impuro tra i padri del deserto, Roma, 2007.
– Georges Vigarello, Le propre et le sale : l’hygiène du corps depuis le Moyen-Âge, Paris, Seuil, 1985 ; Le sain et le malsain : santé et mieux-être depuis le Moyen-Âge, Paris, Seuil, 1993.
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Modalités de soumission :
Cet appel s’adresse aux doctorants et aux jeunes docteurs. Les propositions sont à envoyer jusqu’au 5 mai 2019 à colloquepurimpur@gmail.com, précédées d’un titre, et ne devront pas excéder 250 mots. Elles seront accompagnées d’une notice bio-bibliographique mentionnant l’université de rattachement et la situation administrative du candidat. Les travaux pourront faire l’objet d’une publication ultérieure. Le comité de sélection fera part de ses résultats aux alentours du 20 mai et communiquera alors plus d’informations pratiques aux candidats retenus.
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Comité scientifique
Annabelle Bolot ; Louise Dehondt ; Véronique Dominguez ; Anne Duprat ; Audrey Duru ; Julien Goeury ; Catherine Grall ; Kévin Hémery ; Loïc Le Sayec ; Marie-Françoise Melmoux-Montaubin.
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Organisation
Annabelle Bolot ; Louise Dehondt ; Kévin Hémery ; Loïc Le Sayec.