Les vices du temps. Précipitation, impatience et inquiétude aux XVIe et XVIIe siècles

  • End date:
    20/02/2020, 00:00

Journée d’étude – 19 et 20 juin 2020
Organisée par Justine Le Floc’h (Paris-Sorbonne) et Alicia Viaud (Paris 3 Sorbonne-Nouvelle)

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“Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage”, affirme le poète dans la fable “Le Lion et le Rat” de La Fontaine. Précipitation, promptitude, empressement, impatience : à l’époque moderne, se déploie une vaste constellation lexicale qui dénonce le rapport dévoyé au temps, en contrepoint des attitudes vertueuses de patience, de modération, de prudence, de circonspection ou de conseil. Selon Thomas d’Aquin, et conformément à la pensée d’Aristote, la précipitation est une forme d’imprudence, un vice causé par “l’impétuosité de la volonté ou de la passion” et qui a pour conséquence fâcheuse de nous conduire à “mépriser les degrés de la prudence”, jusqu’à produire notre ruine (Somme théologique, IIa, IIae, q. 53). Attitude impropre, elle s’explique tant par un manque d’anticipation et par les défauts de la délibération que par un excès d’orgueil. Elle trahit, par la maladresse d’un vain coup d’éclat, le manque d’expérience du décisionnaire, qu’elle rend pitoyable ou ridicule. François de Sales dans l’Introduction à la vie dévote signale très nettement à Philothée les dangers de l’empressement et de l’inquiétude, qui est « le plus grand mal qui arrive en l’âme, excepté le péché », et il lui rappelle « qu’il faut traiter des affaires avec soin et sans empressement ni souci ». Zèle, ardeur et promptitude relèvent des modalités héroïques et bruyantes de l’agir qui ne permettent pas la réforme profonde que nécessite l’éveil à la spiritualité.

De fait, nombreux sont les chefs d’accusation contre la précipitation. Sur le plan moral, elle contrarie la patience, louée par Tertullien dans le De patientia, qui transpose en contexte chrétien l’apatheia stoïcienne. Vertu a priori passive, la patience apparaît comme un remède aux passions, définies comme des mouvements de l’âme qui produisent une agitation désordonnée du corps. Au contraire, la précipitation s’accompagne d’affects d’inquiétude, de crainte et de tristesse. Sur le plan spirituel, elle trahit les exigences de sustentatio du Dieu lent à la colère (Ecclésiastique 2, 3), qui se réserve le droit de juger lors du Jour du Seigneur, le Dies irae. Sur le plan épistémique, la précipitation est encore la première faute intellectuelle condamnée par Descartes dans les règles énoncées dans le Discours de la méthode : l’exercice du jugement rationnel, pour se préserver du préjugé et de l’erreur, requiert un soin et une application qui se marient mal avec la contrainte temporelle. Contre ce vice moral et intellectuel, qui est également un péché et une erreur, la morale pratique enseigne aussi bien l’art de différer et de faire diversion, que des méthodes pour faire cesser la dispersion et l’agitation volubile, et retrouver la concentration : la précipitation se guérit tantôt par l’ajournement, tantôt par le sursaut d’attention.

Malheur cependant à qui y verrait une incitation à la paresse, car en toute chose, la vertu réside en la modération : “Festina lente !” (“Hâte-toi lentement”), rappelle l’adage érasmien. L’action rapide peut même parfois se révéler digne de louanges, dès lors que l’empressement est soutenu par la prévoyance et la perspicacité, qui permettent de saisir les occasions à propos. Le maréchal Blaise de Monluc ne signale-t-il pas dans ses Commentaires que la capacité à déployer rapidement les bons moyens est utile aussi bien dans le service au roi, qu’en politique et sur le champ de bataille ? Faut-il alors considérer qu’il puisse y avoir de bons usages de la promptitude ? La diligence peut être une manière de parvenir à ses fins, ce que souligne Machiavel dans sa définition de la virtù. L’action efficace exige de prendre le temps du discernement et de réserver son jugement, tout en restant à l’écoute des opportunités et des conseils. Ainsi César est-il, sous la plume de Montaigne, le général capable de temporiser à bon escient afin de remporter la victoire, en mettant à profit l’instabilité du rapport de force. Castiglione, quant à lui, enjoint le courtisan à faire preuve de discrezione et à parfois suspendre le jugement et le geste, pour ne pas agir hors-saison. À sa suite, la réserve, la retenue et la discrétion sont au fondement de la stratégie de cour recommandée par Gracián au siècle suivant dans l’Oráculo manual y arte de prudencia. Enfin, dans l’exercice de soi, la suspension d’action, à rebours de la paresse, de la négligence ou de l’impuissance, requiert de la discipline, voire du sacrifice. S’esquisse ainsi au XVIIe siècle un héroïsme et une vertu de l’inaction, qui exige de renoncer aussi bien aux lauriers des superbes qu’aux larmes des martyrs, pour se contenter de la discrétion et des petites vertus qui permettent de cheminer lentement vers le bien et le succès.

Cette journée d’étude aura pour objet d’examiner le discours sur les vices du temps à l’époque moderne, aussi bien sur le plan conceptuel que rhétorique, politique, moral ou spirituel. Nous accueillerons avec beaucoup d’intérêt les contributions qui montrent comment ces questionnements se déploient dans les différents genres, référentiels ou fictionnels, dans les différents champs du savoir, à la fois théoriques et appliqués, ainsi que dans la singularité de la pensée des différents auteurs.

Merci d’adresser votre proposition de contribution à viaud.alicia.isaline@gmail.com et justine.lefloch@gmail.com avant le 20 février 2019.

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