Marie-Joëlle Louison-Lassablière, Lettrines pour Arena. Acrostiche romancé

Marie-Joëlle Louison-Lassablière, Lettrines pour Arena. Acrostiche romancé

 Sans titre

Paris, L’Harmattan, coll. « Rue des Écoles », 2023, 328 pages.

ISBN : 978-2-14-031882-5

Prix public : 28,50€

Antonius Arena fait partie de ces hommes que l’Histoire n’a pas retenus. Pourtant sa vie à elle seule vaut tous les romans. Étudiant en droit, danseur puis maître à danser, soldat, poète latinisant et pour finir magistrat, il s’est illustré par la publication d’ouvrages à succès : un manuel sur l’art de bien danser et une relation burlesque de la guerre de Provence qui opposa en 1536 les armées de François Ier aux troupes de Charles Quint. Un tempérament bien trempé allié à une culture autant goliarde qu’humaniste en font le personnage emblématique d’une Renaissance à peine éclose.

         Au travers de la vie et de l’œuvre du poète, Lettrines pour Arena fait déambuler le lecteur dans le royaume de France au xvie siècle à la rencontre des heurs et malheurs de ses habitants, de leurs préoccupations et de leurs luttes. Ce livre se lit aussi comme un ouvrage d’initiation à la littérature. À la fois défense et illustration de la recherche littéraire actuelle, il s’apparente à un plaidoyer pour le latin au moment où celui-ci tombe en désuétude.

         Marie-Joëlle Louison-Lassablière, docteur ès Lettres, est chercheur à l’IHRIM, Unité Mixte de Recherche CNRS 5317 à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne. Ses travaux portent sur les écrits pédagogiques ou polémiques relatifs à la danse de la Renaissance. Depuis plus de vingt ans, elle est considérée comme la spécialiste d’Antonius Arena dont elle a traduit et publié les textes.

EXTRAIT du chapitre 16 :

En plein ciel tournoyait une vapeur d’insectes grêles tandis que des moissonneurs arasaient les blés et que l’or des pailles s’effondrait au vol siffleur des faux. Ils s’ouvraient des chemins au milieu d’une mer blonde, laissant la terre en brosse s’effriter derrière eux. À leurs pieds tombaient les andains en bouquets incurvés dans le crissement de la faux comme une cigale de fer qui se frotterait les ailes. Ils avançaient de front, la jambe droite pliée, la gauche presque tendue, faisant glisser la lame en un geste ample qui imprimait à tout leur corps un branle régulier. Parfois l’un d’eux perdait le rythme pour avoir heurté une pierre ou déniché une alouette, mais très vite sa faux rattrapait la cadence et coupait à l’unisson. À pas serrés, les faucheurs progressaient en ligne dans un va-et-vient constant des bras et chaque coup les forçait à s’incliner davantage devant ces épis dont dépendait leur vie.

— Fauchare reverentiam, pensa Antoine. C’est bien cela !

Tout en faisant boire son cheval, il scrutait le ballet des moissonneurs avec un œil de maître. Faucher la révérence, telle était la consigne qu’il donnait à ses élèves. Dans son esprit, il s’agissait d’une image à valeur pédagogique : tout comme la plume du copiste trace l’a-rond-bas[1], la faux dessine au sol un arc de cercle. De même la révérence où la jambe gauche effectue d’avant en arrière un pas de rond[2] à terre. Faute d’un vocabulaire précis, la danse s’enseignait par analogie. Mais à vouloir rapprocher deux réalités différentes, Antoine en venait à se demander laquelle était comparée à l’autre. Où était la frontière entre le geste de métier et le pas du danseur ? Le premier avait-il inspiré le second, comme dans le Branle des Lavandières ou la Moresque ? La danse était-elle vouée à n’être qu’une imitation parfaite des gestes quotidiens ou le corps adoptait-il d’instinct des positions commodes, toujours les mêmes, qui s’avéraient tantôt fonctionnelles tantôt esthétiques ? Pourquoi le mauvais danseur auquel il reprochait de bêcher la piste avait-il l’air d’un nigaud, alors que le paysan qui bêchait son jardin ne l’était pas ? Si la finalité était le seul critère qui donnât sens au mouvement, la danse se devait-elle d’en avoir une ?… Il eut alors le sentiment que son livre ne répondait qu’à une nécessité pratique, celle de connaître les pas à exécuter dans les basses danses, mais qu’après lui des théoriciens devraient un jour se pencher sur ces questions et que de leurs réflexions naîtraient de nouvelles formes de danses dont lui-même ne pouvait avoir idée.

 

[1] L’a-rond-bas était une abréviation en usage chez les copistes du Moyen Âge. Il est devenu l’arobase : @.

[2] Ancienne appellation du rond-de-jambe, attestée chez R.-A. Feuillet.