Benoît Autiquet : Largesse du don et brièveté de la forme dans Les Missives des Dames des Roches
Benoît Autiquet, Université Paris-Sorbonne Nouvelle (Paris III)
Gerard TERBORCH, Femme écrivant une lettre, vers 1655, Mauritshuis, La Hague (source : WGA)
Dans la littérature du XVIe siècle, la profusion des mots, les énumérations à perte d’haleine, la copia verborum sont, pour le clerc comme pour le poète, une manière de faire pièce aux seigneurs : eux aussi, ils ont un trésor, et de quoi “faire largesse”. Cette expression de Jean Starobinski pourrait à la fois se trouver infirmée et confirmée par l’étude des Missives des dames des Roches, publiées en 1586. Dans le recueil, l’échange de lettres est bien évalué selon une logique économique de dons et de contre-dons, mais la construction de la valeur du texte épistolaire ne s’y opère pas à travers la copia verborum. Au contraire, Les Missives constituent une théorie et une illustration de la richesse de la forme brève.
Cette caractéristique formelle contredit un propos bien connu sur l’écriture des lettres à la fin du XVIe siècle : celui de Montaigne qui, quelques années avant et chez le même éditeur (Abel L’Angelier), dans ses Considérations sur Cicéron, exprime tout son dédain pour les “lettres de ce temps”, “plus en bordures et prefaces, qu’en matiere”. Le style épistolaire qu’il cultive pour sa part se caractérise par la profusion et l’accumulation : “le premier traict produict le second”. Les Missives, elles, construisent leur valeur d’échange dans la maîtrise des bornes de la lettre. Contraintes, en tant que femmes, à une économie de paroles d’un côté, et de l’autre à une participation à la rhétorique de la politesse et au registre du don, les dames des Roches élaborent une poétique de la brièveté qui parvient à donner aux “bordures et prefaces” de leurs lettres le poids et la valeur de la “matiere”.
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