Européens en voyage (1500-1800) – Une anthologie

BIDEAUX (Michel), Européens en Voyage (1500-1800). Une anthologie, Paris, PUPS, 2012.

 

européens

Professeur à l’université Montpellier III – Paul Valéry, Michel Bideaux propose au lecteur une anthologie de textes produits par les voyageurs européens lors de leurs périples en Europe ou dans le reste du monde de 1500 à 1800. L’auteur est un fin connaisseur de cette littérature de voyage puisqu’il a déjà publié plusieurs éditions critiques dont celle du Voyage autour du monde de Bougainville[1].

La période retenue n’est pas anodine : elle correspond à une période d’élargissement du monde connu pour les Européens, sous l’effet de la découverte de l’Amérique et de la construction des empires ibériques aussi bien en Afrique, qu’en Asie ou en Océanie. La pratique du voyage s’enrichit à ce moment-là : il faut voir le monde, mais aussi le connaître. Il faut se confronter avec l’étranger et s’éveiller à la différence. Ceci passe aussi bien par les lointaines expéditions ibériques vers l’Asie ou vers l’Amérique à partir du XVe siècle, que par la pratique du Grand Tour inventée par les Anglais et qui se développe aux XVIIe et XVIIIsiècle. Les voyageurs se montrent désireux de laisser une trace écrite de leurs pérégrinations et de partager leurs expériences avec un public plus large. C’est donc à cette époque et sous l’influence de ces différents facteurs que la littérature de voyage se constitue comme un genre à part entière.

Dès l’introduction, Michel Bideaux explique les choix qui ont présidé à la réalisation du corpus de textes. La perspective adoptée est avant tout celle d’un touriste : les textes retenus mettent donc en scène un voyageur à la rencontre d’un monde qui n’est pas le sien et se concentrent sur la relation qui se tisse entre le sujet confronté à l’expérience du voyage et son objet d’observation (hommes, pays, nouvelles coutumes). Le recueil des impressions, des regards et des expériences personnelles est ainsi privilégié. Loin des facilités actuelles pour se déplacer, l’auteur rappelle que le voyage reste à l’époque une entreprise difficile et risquée et qu’elle nécessite à ce titre une préparation minutieuse qui est précisée dans des guides spécifiques à chaque pays. Les voyageurs sont soupçonneux face à l’inconnu quotidien et aux multiples risques qu’ils peuvent trouver sur leur route. Le choix des textes procède ainsi d’une volonté de retranscrire les impressions personnelles de chaque voyageur, tout en veillant à ce que leurs descriptions aient une portée plus générale et renvoient à une expérience commune aux voyageurs de cette époque. Georges Bideaux n’a pas souhaité restreindre le champ uniquement aux témoignages d’explorateurs, mais il a privilégié les auteurs ayant une expérience directe de la pérégrination : un des points forts de l’ouvrage est ainsi de présenter des récits de marins, de philosophes, d’aventuriers ou d’hommes d’Eglise et de proposer des visions très diversifiées du voyage.

L’auteur n’adopte pas une exposition chronologique des textes, mais choisit de procéder par espaces. Après une partie sur « Le discours du voyage » qui présente des textes sur la « façon » de voyager et sur l’acte de retranscription des impressions de voyage (comment écrire le voyage ?), le lecteur est lui-même invité à voyager sur les différents continents. Les chapitres 2 à 7 sont ainsi consacrés aux récits des voyageurs en Europe. Une importance particulière est accordée à l’Italie et à l’Angleterre à qui deux chapitres entiers sont dédiés. La primauté de l’Italie est justifiée par l’importance que les voyageurs accordent à cette destination et ce tout au long de la période : terre de transit des pèlerins dès le Moyen Âge, passage obligé pour les humanistes, elle demeure une référence en matière de civilité au point que pour l’Anglais Samuel Johnson (1776), on ne saurait être homme sans avoir accompli le voyage en Italie. Les chapitres 8 à 18 proposent quant à eux une déambulation hors des territoires européens pour se concentrer sur l’empire ottoman, l’Afrique, le Moyen-Orient l’Inde, la Sibérie, l’Extrême-Orient ou encore l’Arctique, l’Amérique du Nord, les Antilles, l’Amérique espagnole et se conclure sur l’Océanie. L’ouvrage s’enrichit en outre de notices bio-bibliographiques des auteurs des différents textes, ainsi que d’un index des noms et des lieux.

Il s’agit donc d’une belle anthologie même si certains choix soulèvent des interrogations, notamment sur le plan formel. L’organisation des chapitres n’apparaît pas toujours clairement : si le choix de commencer par les descriptions de l’Europe semble judicieux, on ne comprend pas les choix qui président à l’enchaînement des chapitres suivants. Ce problème se retrouve dans l’organisation interne de chaque chapitre où l’ordonnancement des textes ne paraît pas toujours suivre de logique précise. Les évolutions chronologiques sont ainsi insuffisamment mises en valeur.

Malgré cela, l’ouvrage de Michel Bideaux offre une perspective intéressante en proposant un vaste parcours littéraire et géographique au lecteur et en offrant de comprendre pourquoi tant de voyageurs ont choisi de se lancer dans cette expérience difficile et d’en laisser une trace écrite.

Compte-rendu fait par Hélène Vu Thanh

[1] Louis-Antoine de Bougainville, Voyage autour du monde, édités par Michel Bideaux et Sonia Faessel, Paris, PUPS, 2001.