“Androgyne, érotisme et ambiguïté de l’image picturale à la Renaissance : un exemple paradigmatique”

CR de l’article d’Elisa de Halleux, p. 37-47.

 

Elisa de Halleux remet en question l'idée selon laquelle une figure androgyne serait forcément liée à l'homosexualité et à elle seule.

Elle part du constat bien connu qu'un homme efféminé - c'est-à-dire qui prend soin de son corps et de sa parure - est souvent, mais pas systématiquement, considéré comme homosexuel à la Renaissance. Une différence est faite, d'ailleurs, entre l'agens et le patiens, le premier n'étant en rien dénué de virilité, tandis que le second est affublé de qualificatifs féminins dans les textes.

Cependant, des figures non androgynes ont un contenu homo-érotique tandis que des figures androgynes en sont parfois dépourvues. Il faut donc clairement distinguer le patiens de l'androgyne.

De plus, il faut distinguer textes et images. Elisa de Halleux donne une citation éclairante tirée du Dialogo della Pittura de Lodovico Dolce, qui montre que "la correspondance entre aspect efféminé et homosexualité se trouve nuancée". L'androgynie, rarement commentée dans le champs des représentations artistiques, mérite donc d'être mieux définie.

Afin d'illustrer ces points, le Cupidon du Parmigianino fait l'objet des observations et commentaires d'Elisa de Halleux durant tout le reste de l'article.

Le caractère androgyne de Cupidon est détaillé : il correspond aux canons esthétiques attribués aux femmes à l'époque (cuisses à la chaire tremblante, ventre rond, bouche menue, sourcils fins...) comme en témoigne un extrait de Giovanni Battista della Porta. Elisa de Halleux met en garde contre le terme d'"androgyne" dans son sens galvaudé : il convient de préciser ce qu'on entend par ce mot.

Cupidon est féminisé : pourquoi ? Sans doute pour répondre à la nature ambiguë et, surtout, ambivalente du dieu : "il n'est ni mâle ni femelle, [...] il est un amalgame de tout", selon le poète grec Alexis et selon une conception largement reprise à la Renaissance, en partie issue du Banquet de Platon.

Elisa de Halleux approfondit ensuite cette idée d'amalgame : elle opère des rapprochements avec d'autres oeuvres iconographiques célèbres qui représentent des Vénus (la Vénus callipyge antique, la Vénus de Botticelli conservée à Berlin et celle de Lorenzo di Credi reproduite ici) ou des Ganymède (un dessin du Parmigianino conservé au Louvre et celui de Corrège, reproduit ici) : il y a des ressemblances frappantes. Si Vénus renvoie à la féminité, Ganymède fait traditionnellement signe vers l'homosexualité, ce qui est corroboré par la mise en valeur des fesses des figures représentées par le Corrège et par le Parmigianino, lieu du coït in anoElisa de Halleux rappelle qu'Eros, dieu adolescent, est associé aux amours entre hommes dès l'Antiquité. Dans le tableau, des métaphores sexuelles, qui jouent sur le double-entendre propre à la littérature burlesque et aux canti carnascialeschi (l'oeil, occhio, désignant l'anus, par exemple), renforcent cette interprétation : tout concourt à signifier la sodomie.

Cependant, la sodomie hétérosexuelle était une pratique répandue à l'époque (cf. Christiane Klapish-Zuber pour la Toscane). Dès lors, les éléments qui symbolisent la sodomie dans le tableau ne signifient pas qu'il faut interpréter ce Cupidon comme une figure du désir homosexuel. Cupidon présente ses fesses au regard comme la Vénus callipyge et comme le Ganymède : le désir est hétérosexuel autant qu'homosexuel, il est ambigu. "Cette ambiguïté trouve une correspondance dans la conception contemporaine de la sexualité, laquelle ne distingue pas deux sexualités opposées ou exclusives, l'une hétérosexuelle, l'autre homosexuelle (ce terme remonte d'ailleurs au XIXe siècle)" (p. 46).

Cupidon est à la fois mâle - il s'active avec un couteau, symbole phallique - et femelle - il reçoit passivement le regard du spectateur -, à la fois objet et inspirateur du désir. En regardant, il possède, en étant regardé il subit. Il a ainsi trait à l'hermaphrodite.

Ainsi, le Cupidon est très ambivalent. Le peintre joue sur les atouts de l'iconographie, foncièrement allusive, tout en jouant sur les registres philosophico-poétique et érotico-comique.

Compte rendu par Anne Debrosse.