Henry Purcell, “Didon et Enée” à l’Opéra Comique

 

Sébastien Bourdon, "Mort de Didon", (1637-1640), Saint-Petersbourg, Musée de l'Hermitage (source : WGA).

Sébastien Bourdon, “Mort de Didon”, (1637-1640), Saint-Petersbourg, Musée de l’Hermitage (source : WGA).

L’Opéra Comique a choisi de reprendre une production deDidon et Énée créée en mai 2006 au Wiener Festwochen. La direction est de William Christie et la mise en scène de Deborah Warner.

 

Dates et heures des représentations : Lundi 5, mercredi 7 et jeudi 8 mars 2012 à 19h et 21h30.

 

En ce qui concerne la mise en scène, pas grand-chose à redire. Les choix sont classiques mais élégants. En outre la metteur en scène a choisi de rappeler les circonstances de la première représentation connue de l’œuvre (qui eut lieu dans un pensionnat de jeunes filles à Londres en 1689) en employant comme figurantes des petites filles de la maîtrise des Hauts-de-Seine. Avant le spectacle, point de rideau fermé, mais une scène déjà exposée et éclairée, où les enfants sont préparées au spectacle par des membres de l’équipe technique. La scénographie elle-même est assez sobre : une estrade de bois occupe le centre de la scène, entourée de bancs d’école. Derrière cette estrade pend un vaste rideau de fils métalliques qui laisse parfois apparaître en arrière-plan une façade rococo. Pendant la scène de partie de campagne, du feuillage, un bassin et des paniers à pique-nique transforment la scène en locus amoenus. Enfin, la scène se dépouille pour la mort de Didon et les lumières baissent jusqu’à n’éclairer plus que son corps languissant soutenu par ses compagnes, dans une esthétique fort proche de celle des mises au tombeau de la Renaissance. Au début et à la fin, une voile de bateau descend des cintres, signe que cette tragique histoire n’est qu’un interlude entre deux voyages.

 

Les costumes des principaux chanteurs sont inspirés de diverses modes du XVIe au XVIIIe siècle mais se fondent ensemble harmonieusement. Le chœur est habillé de costumes sombres au goût contemporain et les fillettes revêtent un uniforme d’écolière. Les sorcières, quant à elles, portent des vêtements qui tiennent à la fois de la culotte de soie et de la jupe, accentuant leur caractère ambigu dans l’ordre de la création.

 

On peut regretter que l’élégante discrétion de la mise en scène ne s’étende pas aux scènes figurant les sorcières, que Deborah Warner a tenté de rendre comiques à l’aide de gesticulations outrées. Malheureusement à en juger par l’effet produit sur les spectateurs ces efforts se soldent par l’échec le plus complet. Cela est d’autant plus dommage que les changements de scène et de ton ne sont pas strictement nécessaires dans une œuvre de moins d’une heure de long. En fin de compte, on ne saisit la portée tragique de l’aventure de Didon que dans les dix dernières minutes de la représentation.

 

Pour être honnête, cela est surtout dû à la prestation musicale, un peu décevante par certains aspects. On ne peut assurément pas critiquer le chœur des Arts florissants, dont le son à la fois moelleux et doux ne trahit pas l’immense réputation. L’orchestre lui-même soutient les chanteurs avec une précision exemplaire. Cependant les chanteurs peinent quelque peu à se mesurer à la « machine Christie ». Pendant les trente premières minutes,Malena Ernman chantait encore sotto voce comme à une répétition générale. Pourtant Didon se ressaisit à l’heure de sa mort pour donner au public une interprétation juste et très touchante de « Remember me but ah! Forget my fate! ». Peut-être trouvera-t-on une explication de sa réserve initiale dans le fait qu’elle doit interpréter le rôle de Didon deux fois de suite dans la même soirée. Si Judith van Wanroij est fort convaincante dans le rôle de Belinda et qu’elle chante deux beaux duos avec Lina Markeby, Aneas (Nicolay Borchev) fait comme Didon assez pâle figure, sans avoir comme elle l’aubaine d’une belle agonie.

En spécialiste des rites funèbres que je suis, j’aurais bien voulu voir au moins du velours noir et une chapelle ardente pour accompagner la musique de la mise au tombeau de Didon, si proche de celle pour les funérailles de la reine Marie, mais il ne s’agit là que d’un penchant personnel.

 

Il me semble cependant que le spectacle dans son ensemble ne créait pas cette ambiance méditative qui fait d’habitude les délices de l’auditeur dePurcell. En somme, bien que cette version se respecte, on attendait plus deChristie et de ses chanteurs. Cela peut être toutefois un simple effet de la première. Qui sait? Jeudi à 21h le spectacle sera peut-être éblouissant.

 

Paule Desmoulière

 (le 5 mars 2012)