L’Arioste et les Arts – L’allégorie politique dans les fresques de Francesco Furini au Palazzo Pitti
CR de l’article de Massimiliano Rossi
Massimiliano Rossi commence son article en soulignant le paradoxe qu’il y aurait à faire de l’Arioste un chantre des Médicis, sachant qu’il s’agit là d’une réinterprétation de l’Arioste dans la peinture au XVIIe siècle. Il s’agit de montrer comment les Médicis ont commencé à « s’approprier l’oeuvre du poète […] notamment à travers l’iconographie politique grand-ducale » qui culmine avec les fresques de Francesco Furini au Palazzo Pitti, notamment celle du salon de Giovanni da San Giovanni, l’allégorie de la mort et de la gloire de Laurent le Magnifique, « comment une iconographie donnée parvient à refléter, prolonger et amplifier les effets de réception que l’oeuvre dont elle s’inspira a suscités dans la littérature artistique antérieure ».
La première partie de cette étude est consacrée à retracer la genèse de cette réappropriation : les fresques de Furini font partie d’un ensemble de fresques commandées au peintre Giovanni da San Giovanni à l’occasion du mariage de Ferdinand II et de Vittoria della Rovere. A la mort du peintre en 1636, la totalité des parois su salon n’ayant pas été réalisée, les parois manquantes ont été confiées à trois autres peintres : Cecco Bravo, Ottavio Vannini et Francesco Furini, tous 3 Florentins, qui achevèrent les fresques entre 1638 et 1642. Le programme initial de Giovanni da San Giovanni évoquait la restauration de l’âge d’or et le retour des poètes anciens et modernes chassés du Parnasse dans les territoires médicéens. Ses successeurs poursuivirent le programme en réorientant le passage de la civilisation de la Grèce classique à la Florence de Laurent le Magnifique, qui devient alors l’acteur principal célébré comme réconciliateur et mécène du jardin de San Marco et de l’Académie Platonicienne (pp.223-224).
Massimiliano Rossi décrit en détail les fresques de Furini, dont plusieurs indices, et les vers inscrits sous la fresque semblent rapporter la scène à un épisode du voyage d’Astolphe sur la Lune, saint Jean l’Evangéliste lui montrant qu’il revient au poète d’illustrer à jamais la mémoire des mortels.
Massimiliano Rossi revient sur la raison pour laquelle la référence de Furini à l’Arioste peut paraître paradoxale : de son vivant, l’Arioste n’était pas particulièrement dans la grâce des Médicis et notamment de Jean de Médics, futur Léon X, qu’il avait pourtant côtoyé en 1513 en tant que diplomate de la maison avant qu’il ne reçoive la tiare pontificale. Encore après la mort de l’Arioste, Côme Ier Médicis en rivalité avec les Este dans une querelle de préséance, moque les longues généalogies réelles ou fabuleuses dont la plupart des poètes accréditaient la maison d’Este, et particulièrement dans le Roland Furieux. Mais l’Arioste connaît un retour en grâce auprès des Médicis dans le cadre de la stratégie de légitimation dynastique lancée par Ferdinand, dès 1549 grâce à une réédition du Roland Furieux chez l’éditeur Torrentino précédé d’un Exposé à la gloire des Médicis, rédigé par Simon Fornari. La propagande dynastique bat son plein dans les années 1590 avec la parution de la Jérusalem délivrée du Tasse, qui est bien souvent opposée à l’œuvre de l’Arioste. Le Roland furieux est alors défendu dans la controverse avec le Tasse, particulièrement pour la pureté et la fluidité de la langue florentine qui y est employée.
Dès lors, le Roland Furieux connaît une fortune visuelle en lien avec sa réhabilitation dans la légitimation dynastique des Médicis. Les codes chevaleresques de l’Arioste sont de plus en plus repris par la société de cour florentine, notamment à l’occasion des ballets, carrousels et autres mascarades. Les représentations figurées du Roland Furieux connaissent une certaine gloire et délivrent un message politique en faveur des Médicis : ainsi, dans les années 1620, le cardinal Charles, beau-frère de Marie-Madeleine d’Autriche commence à former dans sa résidence florentine du Casino de San Marco une série de tableaux où des épisodes tirés du Roland Furieux, de Jérusalem Délivrée, de la Bible et d’Ovide sont réordonnés au service de la morale.
Massimiliano Rossi montre dans la deuxième partie de son étude comment Furini a intégré le processus antérieur de captation du Roland Furieuxpar les Médicis dans la composition de son tableau à la gloire de Laurent, en décryptant la symbolique de l’Arioste que le peintre a choisi de représenter : « on voit avec quelle finesse le peintre parvient à transporter sur le théâtre même d’une célébration princière le jeu périlleux, mais parfaitement maîtrisé qui se joue dans le Roland Furieux entre vérité et apparence, mensonge terrestre et dévoilement lunaire, fiction édulcorée du panégyrique et brutalité de la politique réelle » (p.231).
Massimiliano Rossi conclut sur l’idée que « dans les fresques du Palazzo Pitti, Furini se substitue à l’Arioste et c’est en inversant les termes du poème que son pinceau parachève le cycle de Giovanni da San Giovanni. La salle du palais est reconfigurée sur le modèle de la Roche-Tristan, et les peintures annonçant les guerres d’Italie et l’avènement de la paix médicéenne deviennent un extraordinaire exemple de narratio obliqua, où le passé et le futur également glorieux d’une même dynastie se rejoignent » (p.232).
compte-rendu par Marie Goupil-Lucas-Fontaine (octobre 2012)