Abrégé Choréa : “Renaissance et identité” – 7 décembre 2019

« Renaissance et identités »

7 décembre 2019

 

Sont présents (malgré la grève des transports franciliens!) : Gautier Amiel, André Bayrou, Miruna Craciunescu, Eva Le Saux, Jean-Nicolas Mailloux, Pierre-Élie Pichot, Lisa Pochmalicki

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Miruna Craciunescu, « L’inverti, l’hérétique, le pauvre diable. Figures de l’individualisme renaissant dans la littérature contemporaine » 

Miruna Craciunescu a obtenu un doctorat sous la direction de la professeure Diane Desroziers à l’université McGill. Sa thèse examine la réception de l’historiographie renaissante et ses mutations à travers les biofictions en langue française du tournant du XXIe siècle. Elle poursuit actuellement des recherches post-doctorales en écopoétique.

 

La période contemporaine voit se multiplier les romans historiques dont l’intrigue prend place au XVIe siècle : le recensement de M. Craciunescu ne dénombre que 18 titres entre 1963 et 1979, mais 178 titres entre 1980 et 2017. Ces romans s’inscrivent le plus souvent dans le genre des « biofictions », les biographies littéraires.

Les biofictions, influencées par la micro-histoire post-moderne, sont concentrées autour d’une vie singulière caractérisée par sa marginalité. Ainsi leur Renaissance est celle de Burckhardt, individualiste et méritocratique, marquant une rupture moderne avec les anciennes communautés. Leur représentation de l’Italie ne marque donc guère les nuances qui pouvaient exister d’une cité à l’autre.

Bien souvent, les biofictions racontent la vie de peintres (Künstlerromane) ou d’écrivains (Schrifstellerromane), afin d’en décrire la sensibilité. Inspirées par le Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci de Freud, les biofictions font de la célébration du nu masculin la topique principale de la Renaissance. Dans La Société du mystère (Grasset, 2017) Dominique Fernandez appelle cette sensibilité homosexuelle le « triomphe des queues », et Sophie Chauveau, dans L’Obsession Vinci (Télémaque, 2007), parlant de la Mantoue d’Isabelle d’Este, résume : « la misogynie est la règle ». Deux marginalités se rencontrent alors : celle de l’homosexualité, et celle consécutive de la féminité : c’est le cas lorsque la biofiction prend pour sujet une artiste femme comme la Tintoretta ou Marguerite de Navarre.

La généralisation de la marginalité, dans la représentation burckhardtienne de la Renaissance, exclut la constitution d’une République des lettres, ou d’une quelconque unité de la christianitas.

Discussion

Le temps a manqué à l’oratrice pour exposer les caractéristiques des figures de « l’hérétique » et du « pauvre diable ». Dans la discussion, Miruna Craciunescu a souligné la grande diversité des marginalités représentées par son corpus, difficiles à énumérer : la marginalité des femmes artistes, par exemple, n’a pas trouvé de place dans sa thèse lors de la publication ! Pour André Bayrou, la représentation d’une Renaissance misogyne peut influencer la recherche universitaire seiziémiste.

Gautier Amiel demande si le corpus oppose des individus normaux et anormaux.  Miruna Craciunescu cite La capitane de Dominique Schneidre (Seuil, 1990), qui oppose Cervantès blessé à Lépante et Lope de Vega, revenu sain et sauf de l’expédition anglaise. Le corpus dans son ensemble distingue nettement le Titien et Michel-Ange.

André Bayrou demande si la Renaissance n’est lue qu’au travers d’individus marginaux, ou si autre chose retient l’attention des romancièr·es. Miruna Craciunescu répond que son corpus décrit également la formation de l’État moderne, à partir de l’expérience genevoise par exemple.

 

Lisa Pochmalicki, « Les Grandes Découvertes en débat : essai de synthèse bibliographique » 

Lisa Pochmalicki est agrégée de lettres modernes et doctorante en littérature française à la Sorbonne. Sa thèse, sous la direction de Frank Lestringant, porte sur la réception et l’autorité de Marco Polo à la Renaissance. Elle a fait paraître récemment, chez Droz, l’édition du Voyage de Paris en Constantinople de Jean Chesneau.

 

Dès 1981, un article de Numa Broc tentait une synthèse bibliographique des polémiques portant sur « l’invention de l’Amérique » et les « explorations européennes », comme l’on appelle désormais les Grandes Découvertes (« Autour des grandes découvertes : un siècle et demi d’énigmes et de controverses », Revue historique, 266, 1981, p. 127-160). Néanmoins, l’expression de « Grandes Découvertes », forgée par Humboldt, est toujours employée par le ministère de l’Éducation nationale, et la question d’y mettre ou non des guillemets n’est pas réglée. Le terme de « Découverte » est lui-même un euphémisme employé par la couronne d’Espagne pour éviter le terme de conquista et les obligations liées au droit de conquête ; une partie de l’historiographie lui préfère désormais le terme de « rencontre ».

L’intérêt de la formule « invention de l’Amérique » est d’éclater les bornes chronologiques et de mettre en évidence un processus psychologique au long cours. On voit alors se dessiner une attitude des navigateurs de la Renaissance qui diffère de celle des marins médiévaux : Christophe Colomb renomme les terres qu’il aborde sans s’intéresser à leurs noms en usage, contrairement à Marco Polo.

Le débat s’est donc poursuivi depuis l’article de Numa Broc, et le cinquième centenaire du voyage de Magellan, en 2019, s’est accompagné d’un grand nombre de nouvelles publications (Romain Bertrand (dir.), L’Exploration du monde. Une autre histoire des Grandes Découvertes, Paris, Seuil, 2019 ; Xavier De Castro et Jean-Paul Duviols, Idées reçues sur les Grandes Découvertes, Paris, Chandeigne, 2019 ; etc.). Dans ce domaine, les revendications nationales contaminent la recherche : le trajet de Magellan a fait l’objet, par le Portugal, d’un dépôt à l’Unesco comme patrimoine de l’humanité. Le « Colombus Day » reste une fête nationale aux États-Unis. Parfois, un ethnocentrisme en remplace un autre : la thèse d’une Chine découvreuse des États-Unis avant l’Europe a été réfutée, mais demeure assez écoutée. Comment alors envisager les Grandes Découvertes de manière dépassionnée ?

Discussion

Pierre-Élie Pichot demande plutôt quelles nouvelles passions les Grandes Découvertes devraient susciter, qui ne fétichiseraient pas les terres inconnues.

            Jean-Nicolas Mailloux souligne que le principal problème est celui de l’euphémisme « Découvertes », qui cache une conquête : Lisa Pochmalicki répond que ce terme ne s’applique pas aux voyages en Orient.

            Miruna Craciunescu conclut qu’il est nécessaire de contextualiser les formules qu’on emploie pour préserver la spécificité de chaque exploration, mais Lisa Pochmalicki rappelle qu’il existe une unité de ces voyages, dont les récits sont d’ailleurs publiés en commun dans des anthologies. Jean-Nicolas Mailloux témoigne que dans sa formation québécoise, l’expression de « Grandes explorations » est la plus largement employée.