Appel à communication : « Circulations, métissages et culture matérielle (XVIe – XXe siècles) »

  • Start date:
    15/12/2014, 00:00
  • Place:
    Bordeaux

Le Conseil scientifique du Centre des Mondes Modernes et Contemporains (CEMMC-Bordeaux-Montaigne) a décidé de monter un colloque terminal sur la culture matérielle, car c’est une thématique fédérative qui peut concerner tous nos axes de recherche. Les villes portuaires, par définition cosmopolites et donc métissées, présentent une culture matérielle spécifique avec notamment l’arrivée de produits étrangers voire exotiques, l’établissement de communautés étrangères apportant avec elles d’autres habitudes de consommation, le brassage permanent des cultures. La culture matérielle est utile à l’étude des pouvoirs, notamment dans le domaine des représentations. Enfin, c’est un des critères majeurs de définition et  de différenciation des élites européennes. Nous avons déjà travaillé sur ce type d’échanges, en particulier dans le cadre des Polonium ou des Balaton, où nos programmes ont été organisés sur les échanges culturels entre France et Pologne, France et Hongrie, sur les échanges croisés, ce qui nous permet d’associer tout ce que nous avons fait avec l’Europe Centrale. Nous avons également poursuivi cette perspective dans le renouvellement des études atlantiques de notre Centre, en particulier sur les dynamiques des mondes coloniaux et post-coloniaux.

Depuis une vingtaine d’années, les recherches sur les circulations internationales à l’époque moderne se sont multipliées dans le cadre de l’histoire globale ou histoire connectée[1]. Le meilleur reflet en est le récent programme d’Agrégation sur les circulations internationales en Europe, année 1680-années 1780[2]. Cette accélération des circulations a eu en effet pour principale conséquence une croissance de la production, des échanges et de la consommation[3]. L’un des problèmes centraux qui a stimulé la réflexion des historiens était lié à cette « révolution » des consommations, en résonance avec la révolution industrielle.

 

Cette accélération a incontestablement  débuté au XVIe siècle avec la mise en contact de l’Europe et des autres continents que Serge Gruzinski a désignée comme « la première mondialisation »[4]. Face aux différentes sortes de pression exercées par l’occidentalisation, les artistes des autres parties du monde ont ainsi élaboré des œuvres qui mêlaient dans des proportions et avec des intensités diverses, tradition européenne et tradition indigène. Par exemple, les mosaïques des plumes mexicaines, les pyxides d’ivoire africain reprenaient des scènes de la vie du Christ. Dans le sens inverse, des figures mexicaines furent confiées à l’orfèvre Benvenuto Cellini pour qu’il leur donnât une monture en or. Une fois retravaillées, les figurines devinrent des œuvres « de la main de Benvenuto Cellini ». Les ateliers de Lisbonne paraissent avoir cherché à jouer avec des matériaux d’origine africaine et asiatique, comme le font de nos jours les grands couturiers européens.

 

Au XVIIIe siècle, la mondialisation de l’économie s’accélère sous l’égide d’Européens (armateurs, négociants, planteurs, colons…) avec la mise en place de systèmes coloniaux ou « impériaux » nationaux, homologues et concurrents, segmentant les trafics intercontinentaux. Des objets jusqu’alors peu connus se généralisent (livres, montres, miroirs), des ustensiles nouveaux apparaissent (services de porcelaine, tabatières) destinés aux marchandises d’origine coloniale (thé, café, chocolat, tabac). En un siècle certains biens sont donc passés du statut de produits de luxe à celui de consommations ordinaires[5]. Le sucre et le café sont donc devenus en Europe comme dans les colonies américaines, des produits de première nécessité.

 

Avec la révolution industrielle, l’invention de la vitesse se traduit par une révolution globale des transports, qui alimente une dynamique continue d’internationalisation/mondialisation/globalisation de la culture matérielle depuis le XIXème siècle[6]. L’innovation du chemin de fer, avec ses Transcontinentaux qui repoussent les frontières et alimentent la prose cosmopolite du Transsibérien, l’avènement du steamer et des paquebots, la genèse du transport aérien accélèrent les brassages de culture matérielle et la circulation des produits et des procédés. Ainsi la classe internationale ostentatoire des loisirs, chère à Thorstein Veblen[7], construit une culture de luxe cosmopolite, de la Nouvelle-Angleterre aux Indes britanniques, en passant par la riviera des lost generations. Mais à partir de la seconde révolution industrielle l’innovation radicale réside dans la convergence de trois processus : la dilation spatiale des horizons de la culture matérielle, avec l’affirmation régulière de nouvelles puissances émergentes, inaugurée par le Meiji pour le Japon en 1868 ; la moyennisation, plutôt que la massification, de la culture matérielle, portée par de nouveaux produits et procédés comme l’aluminium et le plastique ; la recherche dans l’économie de la consommation[8] de l’éclectisme et du fonctionnalisme international, incarnée par la cuisine fusion et les hôtels d’affaires. Enfin avec la troisième révolution industrielle, l’ère de l’instantanéité et de l’ubiquité tend à dématérialiser la culture matérielle ou du moins à l’iconiser, comme en atteste le culte design du smartphone sur l’ensemble de la planète numérique.

 

Notre démarche s’intéressera aux objets, aux consommations et aux pratiques résultant d’une hybridation culturelle et pas uniquement, bien évidemment, à ceux qui sont issus du commerce intercontinental. La circulation entre les nations d’un même espace géographique retiendra aussi  l’attention à l’instar des ceintures de soie fabriquées à Lyon et expédiées en Pologne pour le vêtement sarmate ou de la porcelaine anglaise de Wedgwood qui inonda l’Europe et stimula nombre d’imitations.  La culture matérielle d’un lieu est bien souvent le résultat d’influences diverses qui se suivent, se superposent, s’intriquent et/ou se contrarient . Pensons par exemple à ces jardins où se mélangent jardin à la française, influence anglaise, statues antiques et fabriques orientalisantes.

 

Axes thématiques

 

Les communications s’attacheront plus particulièrement aux formes et aux modalités de l’avènement et de la diffusion d’une nouvelle culture matérielle née du métissage :

 

  • Rôle des voyages, des relations diplomatiques (pratique des cadeaux), des échanges commerciaux, des migrations de travail, de la correspondance, des journaux d’annonces, de la vente de brevets…
  • On analysera plus particulièrement les spécificités artistiques de ces nouveaux objets et leurs représentations en faisant appel au regard des historiens de l’art.
  • La diffusion de ces nouveaux objets et de ces nouvelles pratiques dans les franges plus ou moins importantes de la population,  du cabinet de curiosité du prince à la boutique ouverte sur toutes les nouveautés exotiques.

 

Soumission de propositions

 

Date limite : le 15 décembre
Titre et résumé de la communication en 15-20 lignes

 

Le colloque aura lieu du 14 – 17 octobre 2015  à Bordeaux dans le cadre du CEMMC (EA 2958)

 

Organisateurs

 

  • Michel Figeac, Professeur d’histoire moderne, Université Bordeaux-Montaigne.
  • Christophe Bouneau, Professeur d’histoire contemporaine, Université Bordeaux-Montaigne.

 

Comité scientifique

 

  • Reynald Abad,
  • Christophe Bouneau,
  • Olivier Chaline,
  • Natacha Coquery,
  • Jaroslaw Dumanowski,
  • Michel Figeac,
  • Pascal Griset,
  • Caroline Le Mao,
  • Philippe Meyzie,
  • Jean-Pierre Willot.

 

Contacts

 

 

[1] . Voir « Histoire globale, histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, t.54-4bis, 2007.

[2] . P.-Y. Beaurepaire et P. Pourchasse, Les circulations internationales en Europe, années 1680-années 1780, Rennes, PUR, 2010.

[3] . Dans une très abondante production, voir notamment John Brewer et Roy Porter ( dir.), Consumption and the World of Goods, Londres/ New-York, Routledge, 1997.

[4] . S. Gruzinski, Les quatre parties du monde, Histoire d’une mondialisation, Paris, Points Seuil, 2006.

[5] Très représentatif de cette démonstration, le numéro spécial d’Histoire urbaine consacré à l’exotisme et à la ville, placé sous la direction de N. Coquery,

[6] Voir B. Marnot, La mondialisation au XIXème siècle, A. Colin, Collection U, 2012 .

[7] Voir T. Veblen, The Theory of the Leisure Class, Macmillan, 1899.

[8] Voir A. Chatriot et M.E. Chessel et M. Hilton dirs, Au nom du consommateur : consommation et politique en Europe et aux Etats-Unis au XXème siècle, Paris, La Découverte, 2004, 424 p.