Appel à publication : « Animal-Animalité », n° 81 de la revue Histoire de l’art

  • End date:
    31/03/2017, 00:00
AMMANATI, Bartolomeo Hibou, c. 1567 Bronze, 47 x 28 cm Museo Nazionale del Bargello, Florence

AMMANATI, Bartolomeo
Hibou, c. 1567
Bronze, 47 x 28 cm
Museo Nazionale del Bargello, Florence

Pour son 81e numéro, la revue Histoire de l’art se penche sur la question de l’animal et de l’animalité et sur le rapport qu’entretient l’artiste avec son double bestial.

Depuis quelques années, la figure animale fait son grand retour sur la scène contemporaine ; en témoigne actuellement et parmi d’autres, Plenty More Fish in the Sea (2016), œuvre créée in situ par l’artiste britannique Claire Morgan dans l’hôpital Saint-Jean d’Angers. Dédiée au thème de l’Apocalypse, l’installation de plumes et de fils fait écho au travail de Jean Lurçat – lui-même inspiré par la tapisserie de l’Apocalypse –  auquel le musée des Beaux-Arts de la même ville offrait l’année dernière une rétrospective. L’incendie en 2008 de la maison Deyrolles, spécialisée depuis 1831 en entomologie et taxidermie, a été lui-même le moteur de multiples réactions artistiques fortes, hommages à un conservatoire des sciences naturelles qui avait déjà séduit les Surréalistes. Si, aujourd’hui, le spectateur assidu des expositions développe une certaine habitude à voir la faune envahir les collections, cela n’a pas toujours été le cas. The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living de Damien Hirst, par exemple, montrant un requin conservé dans un aquarium gigantesque rempli de solution formaldéhyde, a provoqué autant le scandale que l’indignation à Londres lors de l’exposition Sensation, 1997. Pourtant, un requin empaillé voisinait, dès la fin du XVIe siècle, dans les collections de Ferdinand II du Tyrol, au château d’Ambras, avec des artificialia virtuoses, des exotica, ou des mirabilia comme les portraits peints de la famille velue Gonzales, jouant là des frontières entre l’animal, l’humain et le monstrueux. L’histoire de l’art révèle l’ancienneté des rapports entre l’homme et l’animal, le premier se formant en conscience et corporalité par le regard que l’animal pose en retour sur lui, comme l’avance John Berger dans Why Look at Animals ? (1980). L’art pariétal, vieux de plus de 30 000 ans, n’offre-t-il pas au spectateur le premier bestiaire ? D’abord pensé comme une supercherie, comme en 1879 lorsque les représentations de taureaux d’Altamira, en Espagne, furent découvertes, l’œuvre consacrée aux bêtes, venant recouvrir les parois des grottes fut, par la suite, considérée par les préhistoriens comme une prouesse plastique, mythologique et testimoniale. Les animaux de profil, en surimpression parfois, piqués de flèches ou flottant dans une cosmogonie complexe prouvent, par leur dessin, une multiplication des styles propres à leur lieu de découverte – Niaux, Lascaux et Chauvet-Pont-d’Arc, entre autres. Rien de simplement documentaire dans ces travaux : nos ancêtres, artistes aguerris, s’appliquaient à broyer les couleurs, composer des outils tels les pinceaux en poils et végétaux, travaillaient le geste, le trait et le rendu. Les animaux « semblent vivre sur les parois […] courent, sautent ou tombent à la renverse […] On imagine facilement des cérémonies, à la lueur vacillante des torches, qui accentuaient cette impression de vie » ; ainsi le préhistorien Jean Clottes décrit-il le spectacle de la grotte Chauvet (Passion Préhistoire, 2003, p. 72).

Toute une organisation sociale se met alors en place pour favoriser la création et améliorer les matériaux. C’est encore en forçant un face à face avec ces animaux primitifs que certains artistes contemporains comme Nicolas de Staël, Brassaï, Yves Klein, pour ne citer qu’eux, vont au cours de leur carrière chercher l’inspiration, s’engouffrer à la source de l’art.

Les périodes antiques offrent elles aussi de multiples pistes de recherche sur la question de l’animal dans l’art. Ce dernier devient chimérique autant que mythologique en Égypte ancienne, lorsque les dieux sont représentés arborant des têtes de faucon, de crocodile ou d’ibis ou dans la Grèce ou la Rome antiques. Pensons alors à ces imbrications entre hommes et animaux participant à leur survie mutuelle ; en atteste la riche iconographie de scènes d’allaitement interspécifique (Zeus nourri par la chèvre Amalthée, Romulus et Remus nourris par la louve). Ce glissement dans ou sous la peau de l’animal, qu’il soit volontaire (Ulysse s’enfuyant de la caverne de Polyphème sous un bélier) ou punitif (les compagnons d’Ulysse transformés en pourceaux par Circé), salvateur ou malheureux, est repris tout au long de l’histoire de l’art, Jérôme Bosch excellant dans la création d’êtres hybrides, démoniaques et fantaisistes.

Les arts, encore – pensons ici par exemple au bestiaire médiéval –, reflètent et représentent cette relation entre l’un et l’autre toujours changeante et obéissant majoritairement aux préceptes religieux. Ainsi la faune, divisée jusqu’au Moyen Âge central en deux groupes distincts (l’animal herbivore et donc comestible et l’animal carnivore sauvage duquel il ne fallait pas s’approcher), se voit au tournant des années 1300 exclue dans sa totalité du monde de l’homme. Comme le précise Pierre-Olivier Dittmar (Naissance de la bestialité, 2010), c’est à cette jonction des siècles que naissent l’animal moderne et le concept de bestialité, regroupant l’ensemble des comportements humains échappant à toute raison.

De ce terreau fertile poussera la grande richesse des imbrications homme/animal que nous connaissons à l’époque moderne : des traités de physiognomonie, cherchant à sonder les âmes par le rapprochement des traits et expressions du visage avec ceux des animaux, aux chambres des merveilles et cabinets de curiosités qui, plus ou moins scientifiquement, tentent de mettre en place de nouvelles taxinomies après la découverte des Amériques et de ses nombreuses espèces (Martin Kemp, The Human Animal, 2007).

C’est encore cette place de l’animal dans l’ordre du monde qui est discutée lors du passage au XXIe siècle et de l’annonce d’une ère apocalyptique. Les questions aujourd’hui soulevées par le concept d’anthropocène réactivent, elles aussi, la figure animale préservée dans son intégrité physique par la naturalisation, entre autres. Sorte de carottage et d’échantillonnage, l’animal pétrifié, conservé dans des caissons ou de nouveaux cabinets de curiosités, est rarement accompagné d’un discours écologique mais sert encore à parler de l’homme. C’est dans cette société contemporaine annoncée comme sans repère et bouleversée que réapparaissent les figures archaïques de l’homme sauvage, rappelant rites et temps où – prétendument – l’homme et l’animal pouvaient se combiner en créatures chimériques. Dans ce contexte, encore, les cultures (extra occidentales) peuvent être relues et réétudiées selon une autre distribution des qualités –  faune et flore – ; c’est ce que propose Ph. Descola dans Par delà nature et culture(2005), ouvrant ainsi sur de nouvelles formes d’altérité.

Thème trans-historique, « Animal-Animalité » sera l’occasion de réunir archéologues, historiens des images et historiens de l’art des quatre grandes périodes, dans des articles qui peuvent notamment être articulés autour de notions telles que :

  • Animalité, définitions et contours : classifications (règnes, animal exotique, fabuleux, sauvage ou domestique), animalité versus bestialité (bestialissima pazzia de Léonard), théories scientifiques de Buffon à Cuvier et Darwin, animalité versus altérité (devenir animal de Deleuze), animalité versus humanité (Derrida, animal culturel)…
  • Figures de l’animalité et portraits : créatures mythologiques, écorché et écorcheurs, tératologie, mythologies contemporaines (yeti…), le portrait animalier (l’illustration scientifique et anatomique, le naturalisme, l’animal en lui-même, l’animal et son maître…)
  • L’exposition de l’animal : ménageries princières, chambres des merveilles, cabinets de curiosités, taxidermie, musées scientifiques, exposition animale versus exhibition du sauvage et controversés « zoos humains », le rebus animal fait œuvre d’art (bézoard, remploi artistique du poil, de la peau, des viscères et griffes…)
  • Artiste et animalité, les formes de l’analogie et leurs enjeux : travestissement, singeries, métamorphose, mimétisme, microcosme/macrocosme, hybridation, expression des passions et caricature, anatomie et éthologie comparées, manipulation cyberbiologique, bio art…
  • Les lieux de l’animalité artistiquement recréés : grottes, espaces souterrains, terrains de chasse, cages, arènes de tauromachie…

Les jeunes chercheurs intéressés sont invités à envoyer un synopsis d’une page jusqu’au 31 mars 2017 avec un titre et une présentation de l’auteur de 2-3 lignes à l’adresse mail suivante : revueredachistoiredelart@gmail.com.

Le numéro est coordonné par Marion Duquerroy, historienne de l’art contemporain et par Natacha Pernac, historienne de l’art moderne.