Frontières et altérité religieuse : la religion dans le récit de voyage, XVIe-XXe siècle

  • End date:
    15/06/2016, 00:00
  • Place:
    Chambéry (Université Savoie Mont-Blanc) et Grenoble (Université Grenoble Alpes).

Ce colloque pluridisciplinaire (histoire, civilisation, littérature, anthropologie, etc.) et diachronique (XVIe-XXe siècle) vise à établir un lien entre des disciplines souvent séparées sur le plan académique et institutionnel.

La tradition historiographique assimile le voyage à un dépaysement et à une expérience de l’altérité. Dans leur cartographie de l’espace physique et idéologique, les auteurs d’écrits de voyage commentent souvent le passage d’une « frontière », dans une acception large confessionnelle et/ou géopolitique, entre plusieurs groupes ou peuples de religion ou de culture religieuse différente (ainsi des Français catholiques se rendant en Espagne ou en Italie). Peu importe qu’il s’agisse d’une frontière géopolitique ou d’une ligne de démarcation invisible, voire d’une coexistence religieuse, le voyageur commentera souvent la différence vécue, perçue, fantasmée ou colorée par ses a priori.

Notre postulat est que l’étude du « fait religieux », considéré sous son angle scientifique de fait essentiel et universel de civilisation, de structure d’encadrement, dans l’esprit — laïque — de la « Ve section » de l’École Pratique des Hautes Études, celle des sciences religieuses, relève également dans une grande mesure de la sphère du culturel, du politique, voire du social.

Le fait religieux, remarquable, exotique ou simplement différent, est décrit et interprété dans les récits de voyage. Il est rarement perçu dans sa totalité, certains observateurs ne commentant que l’extériorité des lieux de culte, l’étrangeté d’une cérémonie hors contexte ou un fait culturel dont ils ne perçoivent pas nécessairement la portée. Les pratiques, les croyances et les lieux dans lesquels elles s’inscrivent étonnent ou choquent le chroniqueur qui les comprend par rapport à sa société d’origine. Ce dernier, qu’il soit conquérant ou simple voyageur, porteur, parfois inconsciemment, d’un message religieux qui lui est propre, mais aussi d’autres valeurs liées à sa qualité ou fonction sociale de commerçant, d’humaniste, de philosophe, d’administrateur, etc., tente alors de mettre du sens dans sa vision de l’Autre.

Les écrits que nous nous proposons de considérer peuvent être des journaux de voyage (écrits en cours de route, intimes ou destinés à être lus par d’autres), des rapports de mission officielle (par exemple religieuse ou militaire), des reportages et des lettres, mais aussi des textes romancés intégrant des formes variées de réminiscences de retour de voyage. Ces écrits peuvent avoir, par leur nature, des finalités très diverses qu’il s’agira d’appréhender. On sait que la fiction introduit une composante de prise de distance par rapport au référent, mais après tout c’est aussi le propre du « récit de voyage » romantique où le moi lui-même devient une fiction narrative. Nous nous attacherons à mettre en évidence les constantes entre les écrits des voyageurs européens, qu’ils soient en mission officielle ou semi-officielle ou qu’ils se déplacent à titre privé au sein de l’Europe ou entre celle-ci et le reste du monde.

Nous faisons appel à des propositions de communications de la part de civilisationnistes, d’historiens, de spécialistes de l’analyse du discours ou encore d’autres champs disciplinaires qui rendent compte de récits divers, y compris illustrés, dans une large période allant du XVIe au XXe siècle.

Les thématiques abordées pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants :

Axe 1 : La persistance des questions sur le temps long

  • Une approche binaire : la religion dominante face à la religion minoritaire (catholiques / protestants ou orthodoxes, chrétienté / islam, chrétienté / paganisme) ou au contraire la religion minoritaire du visiteur au contact avec la religion dominante de l’espace visité (regard des protestants sur l’Europe catholique et inversement).
  • La curiosité envers (ou le rejet de) l’Autre, le différent : approches ethnologique et anthropologique, mais en étant également attentifs à saisir les spécificités propres à chacun des contextes historiques considérés.
  • Les motivations de l’évangélisation : après tout, c’est pour cette raison que sont partis les missionnaires européens du XVIe siècle ; la découverte de l’Amérique fut l’événement le plus important depuis la naissance du Christ, écrivait Francisco Lopez de Gomara (Historia general de las Indias, 1552).

Axe 2 : Fascination, répulsion, « superstition » et exotisme culturel

Dans le contexte de la dominante chrétienne, le voyageur peut adopter de multiples attitudes, parfois contradictoires :

  • La fascination pour des cultures et des religions jugées comme préparatoires à la réception du christianisme (ainsi chez les Hurons du Canada pour les Récollets).
  • La répulsion devant des mœurs et des pratiques perçues comme « barbares » ou « sauvages ».
  • La mise en évidence d’une superstition chrétienne dans le discours des élites voyageuses européennes.
  • L’intérêt pour un fait culturel exotique dont le chroniqueur ne perçoit pas nécessairement la dimension religieuse.
  • Le constat d’une forme de syncrétisme (comme dans le cas des jésuites considérés comme des chamans par des Tupi au Brésil au XVIe siècle).

Axe 3 : Ruptures, continuités, évolutions

  • Confrontation de la situation européenne et de la situation coloniale : la diversité des situations et du questionnement est grande selon que l’on est en Amérique ou en terre d’Islam (idée de croisade, espionnage sur les faiblesses de l’Empire ottoman). Les contradictions sont nombreuses : en Espagne on expulse les Moriscos au début du XVIIe siècle, mais on garde des esclaves musulmans.
  • L’écriture comme base de l’action ou pour appréhender l’Autre ; l’unification linguistique et ses limites (cf. la place des langues indiennes en Amérique – quechua, aymara, nahuatl – à côté de l’espagnol, du portugais ou du latin).
  • La question des minorités, ainsi :

– celle des créoles en Amérique espagnole, aussi importante aux yeux des contemporains que celle des Indiens : c’est pour les premiers seulement que fonctionne l’inquisition moderne ;

– celle des chrétiens d’Orient dans l’Empire ottoman, pour lesquels les jésuites dans leurs correspondances manifestent beaucoup de condescendance ;

– la coexistence religieuse au sein de l’Europe, comme dans l’exemple des Provinces-Unies ou de Livourne.

Axe 4 : Le regard du chroniqueur, de la chroniqueuse, une approche genrée

  • La religion de l’Autre dans le regard des femmes et des hommes.
  • La chroniqueuse en terre étrangère : intégration dans un groupe étranger et perception de la religion de l’Autre.
  • La place respective des hommes et des femmes dans les pratiques rapportées par les voyageurs (par ex. dans le monde catholique : saintes et saints, figures de la dévotion, rôle des prêtres, des moines et des religieuses, etc.).

Les langues du colloque sont l’anglais et le français.

Modalités de participation

Merci d’adresser les propositions (d’environ 3000 signes, en anglais ou en français, accompagnées d’une fiche de présentation de l’auteur)

avant le 15 juin 2016

à colloque-frontiere-alterite@univ-grenoble-alpes.fr, avec copie à andreas.nijenhuis@univ-smb.fr

Le colloque se tiendra les jeudi 1er et vendredi 2 décembre 2016 à Chambéry (Université Savoie Mont-Blanc) et Grenoble (Université Grenoble Alpes).

Comité scientifique

Chercheurs dans une université française

  • Bruna Conconi, Università di Bologna, Bologne, Italie, 
  • Lucie Genay, Université de Caen Normandie, Caen,
  • Lauric Henneton, Université de Versailles, St-Quentin-en-Yvelines,
  • Sylvain Venayre, Université Grenoble Alpes, Grenoble

Chercheurs dans une université hors France

  • Michael S. Foley, Rijkuniversiteit Groningen, Pays-Bas, 
  • Willem Frijhoff, Erasmus Universiteit Rotterdam, 
  • Manuel Garcia y Griego, University of New Mexico, États-Unis, 
  • Anne M. Martinez, Rijkuniversiteit Groningen, Pays-Bas,
Comité d’organisation aux Universités Savoie Mont-Blanc et Grenoble-Alpes
  • Susanne Berthier-Foglar,
  • Gilles Bertrand,
  • Frédéric Meyer,
  • Andreas Nijenhuis-Bescher.

Centres de recherche associés : LLSETI (EA 3706), ILCEA4 (EA 7356), LUHCIE (EA 7421)