Héroïsme féminin, héroïnes et femmes illustres : une représentation sans fiction XVI-XVIIe siècles

  • Start date:
    28/01/2016, 09:00
  • End date:
    30/01/2016, 16:00
  • Place:
    Amphithéâtre du Collège Européen Universitaire - Campus de l'Esplanade 46, boulevard de la Victoire Strasbourg, France (67000)

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Présentation

Le colloque propose de revenir sur les modalités de qualification d’un héroïsme féminin (XVIe-XVIIe siècles), hors du domaine de l’invention littéraire ou artistique, dans l’hypothèse d’une proximité plus étroite avec la vie morale et ses représentations, à une période historique où la diffusion du néoplatonisme épurant le sentiment amoureux revivifie à terme les valeurs courtoises, où un augustinisme condamnant la vanité politique et où la crise des valeurs guerrières avec les guerres de Religion a laissé une place inégalée jusqu’alors aux femmes, et non plus seulement à des femmes. On espère reformuler une lecture féminine (mais pas nécessairement féministe) de l’engouement pour la figure féminine aux XVIe et XVIIe siècles dans les représentations comme dans la réception de ces représentations, à travers les faits et gestes et un imaginaire collectif, en synchronie et en diachronie longue.

Sous le patronage de la Société Française d’Étude du Seizième siècle, de la Société d’Étude du Dix-septième siècle, et de la Société des Amis de Port-Royal

Programme prévisionnel

Jeudi 28 janvier 2016

13h : Accueil

13h 30: Allocutions d’ouverture

  • Pierre Hartmann, directeur de l’École doctorale
  • Béatrice Guion, directrice de l’ÉA 1337 « Configurations littéraires »

14h00-15h00

I.- Les valeurs en questions

  • Claude La Charité (UQ Rimouski) « L’éventail des possibles de l’héroïsme féminin d’après les Dialogismi Heroinarum (1541) de Petrus Nannius »
  • Elisabetta Simonetta (Paris III) « La contrainte de l’héroïsme : lettres des femmes à la Renaissance italienne »
  • Enrica Zanin (Strasbourg) « Sémiramis: une héroïne entre féminin et masculin »

15h00 : Discussion et pause

16h00-16h40

II.- Ecrire les vies : biographies spirituelles

  • Marie-Élisabeth Henneau (Liège) « Héroïsme en clôture : de la contemplative silencieuse à l’amazone chrétienne. Discours et représentations de l’héroïsme féminin sous la plume d’annonciades célestes au XVIIe siècle »
  • Chiara Rolla (Gênes) « Jeanne de Chantal dans les Mémoires de la Mère de Chaugy : une femme, une épouse, une mère et une religieuse aux vertus héroïques »

16h40 : discussion

17h30-19h00 : visite-découverte du patrimoine culturel de Strasbourg : Visite de la ville : le millénaire de la cathédrale (sous réserve) ; Soirée libre

Vendredi 29 janvier 2016

9h00-10h20

III.- Modèles antiques, modèles bibliques, modèles chrétiens

  • Alain Cullière (U. Lorraine) « Un diptyque de l’amour et de la vertu. Sophonisbe et Arria vues par Guillaume Reboul (1597) »
  • Elisabeth Schneikert (Strasbourg) « Pauline, Livia, Kinge et quelques autres : l’héroïsme féminin dans les Essais de Montaigne »
  • Nicole Hochner (Université hébraïque de Jérusalem) « Les deux faces d’Esther, une héroïne liminale »
  • Hélène Michon (Tours) « La duchesse de Liancourt : un exemple féminin d’héroïsme chrétien? »

10h20 : Discussion et pause

11h20-12h20

IV.- les galeries d’illustres : l’exemplarité et ses tensions

  • Richard Maber (Durham, Grande-Bretagne) « Sans estre bien malheureux, on ne peut estre qu’un Héros [ou : une Héroïne] fort médiocre »: les femmes fortes du Père Le Moyne et l’idéal de l’héroïsme dans la souffrance »
  • Grégoire Menu (Harvard, Connecticut) « D’une exemplarité féminine paradoxale : statut narratif du personnage dans la Cour de sainte de Nicolas Caussin »
  • Barbara Piqué (Viterbe, Italie) « Les femmes illustres dans La Cour Sainte du père Caussin, s. j »

12h20 : Discussion

13h00 : Déjeuner

14h30-15h10

V.- Grandeurs féminines (I)

  • Marie-Céline Daniel (Paris IV) « Marie Stuart et Élisabeth Tudor : femme fatale ou martyr, deux destins héroïques dans The Historie of the Life and Death of Mary Stuart de William Camden (1624) »
  • Catherine Pascal (Montpellier) « ‘Une pieuse, vaillante et sçavante Héroïne’ : Isabelle, reine de Castille, dite « Isabelle la Catholique »

15h10 : Discussion – pause

16h00-16h40

VI.- Grandeurs féminines (II)

  • Claudie Martin-Ulrich (Pau) « Héroïne et princesse protestante : Eléonore du Roye face à son destin »
  • Cécile Huchard (U. Lorraine) « Jeanne d’Albret et Elizabeth d’Angleterre : reines et héroïnes protestantes ? »

16h40 : Discussion

Dîner festif (sur réservation)

Samedi 30 janvier 2016

9h-10h20

VII.- Ecrire les vies : les mémorialistes

  • Nadine Kuperty Tsur (Tel-Aviv) « Marguerite de Valois ou prix de l’héroïsme féminin » (Marguerite de Valois)
  • Nathalie Grande (Nantes) « L’héroïsme féminin au creuset de la mémoire : Madame de La Guette »
  • Jean Garapon (Nantes) « Deux visages de l’héroïsme féminin pendant la Fronde : Mlle de Montpensier et Mme de Longueville »
  • Francine Wild (Caen) « L’héroïsme féminin dans les Historiettes de Tallemant des Réaux »

10h20 : Discussion et pause

11h20-12h20

VIII.- Religieuses en résistance

  • Yann Lignereux (Nantes) « Catherine de saint Augustin : une héroïcité sans héroïsme ? La Nouvelle-France et le procès de la théocratie jésuite, 1660-1680 »
  • Anne-Claire Volongo (Paris –Nanterre) « Angélique Arnauld ou l’héroïsme anéanti »
  • Agnès Cousson (Brest) « Écriture de soi et héroïsme dans les lettres et récits d’Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly »

12h20 : Discussion

13h00 : Déjeuner

14h30-15h30

IX.- Réceptions

  • Christine Mongenot (Cergy-Pontoise) « Représentations et modes de transmission des figures héroïques féminines dans le cadre de la littérature d’éducation destinée aux filles (XVIIe-XVIIIe s.) »
  • Antoinette Gimaret (Limoges) « Héroïsme et sainteté féminine : la construction d’un paradigme de la femme illustre et les problématiques de sa réception dans les biographies hagiographiques au XVIIe siècle »
  • Maxime Perret (Paris) « Splendeurs et misères de l’héroïsme féminin au Grand Siècle : les dames du XVIIe siècle dans les Causeries du lundi de Sainte-Beuve »

Source : « Héroïsme féminin, héroïnes et femmes illustres : une représentation sans fiction »,ColloqueCalenda, Publié le lundi 04 janvier 2016, http://calenda.org/351637

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Résumés des communications

 

 

Héroïsme féminin, héroïnes et femmes illustres XVIe et XVIIe siècles : une représentation sans fiction

 

Strasbourg, 28-30 janvier 2016

 

Résumés des communications

 

 

 

 

Jeudi 28 janvier, après-midi

 

Claude La Charité (U. Québec à Rimouski), « L’éventail des possibles de l’héroïsme féminin d’après les Dialogismi Heroinarum (1541) de Petrus Nannius »

En 1541, chez Christian Wechel, paraît la première édition des Dialogismi Heroinarum de l’humaniste hollandais Petrus Nannius (1500-1557). Offert à la marquise Mencía de Mendoza (1508-1554) à l’occasion de son remariage avec Fernand d’Aragon, duc de Calabre, ce recueil réunit cinq dialogues d’héroïnes : Lucrèce, Suzanne, Judith, sainte Agnès et Camma. Si le point commun entre ces différentes figures héroïques est évidemment la chasteté, ces cinq courts textes sont moins convenus qu’il n’y paraît et ne se réduisent pas à de simples éthopées un peu scolaires sur le modèle des Héroïdes d’Ovide. Loin d’être de simples figures littéraires, ces héroïnes constituent autant de modèles dans lesquelles la dédicataire, disciple de Juan Luis Vivès, est susceptible de se reconnaître, comme s’en explique Nannius dans son épître dédicatoire. Par ailleurs, loin d’être interchangeables, ces cinq femmes exemplaires ont été choisies de manière à se compléter l’une l’autre et à incarner les différentes facettes de l’héroïsme féminin qui est certes toujours indissociable de la chasteté, mais qui est susceptible néanmoins de variation en fonction des vertus ou des vices auxquels elle se trouve associée : l’ambition chez Lucrèce, la foi en Dieu chez Suzanne, le souci du bien commun chez Judith, le mysticisme chez sainte Agnès et la vengeance chez Camma. Enfin, au lieu de prendre la forme de lettres comme chez Ovide ou de dialogues comme le titre le suggère, ces courts textes se présentent en fait comme des soliloques que se tiennent les héroïnes à elles-mêmes, sans chercher à se conformer aux normes d’une société ou à complaire à un quelconque interlocuteur. C’est en fait la qualité innée ou intrinsèque (indoles en latin) de l’héroïsme féminin que cherche ainsi à saisir Nannius dans ses multiples manifestations et dans son infinie variété. À ce titre, les Dialogismi Heroinarum jettent un éclairage particulièrement intéressant sur l’idée que l’on pouvait se faire de l’héroïsme féminin dans les milieux humanistes au mitan du XVIe siècle.

 

Elisabetta Simonetta (Paris III), « La contrainte de l’héroïsme : lettres des femmes à la Renaissance italienne »

Le stéréotype de l’héroïne tragique du XVIème siècle italien se décline à travers l’évolution d’une notion d’héroïsme féminin souvent instrumentalisée, car étroitement liée aux événements historico-culturels : Guerres d’Italie, renovatio culturel et Querelle des femmes, Réforme et Contre-Réforme. En effet, dans une période d’intense institutio des femmes, l’idée complexe de la virtuosité féminine se partage entre norme domestique et exceptionnalité culturelle. La récupération de personnages féminins exemplaires issus de la littérature héroïque, tels Lucrèce, Judith ou les héroïnes ovidiennes nourrit un goût et une sensibilité des auteurs et du public pour l’héroïsme au féminin. De plus, l’héroïne tragique, bien que souvent fictive, reste un personnage plus ‘actif’, donc pédagogiquement plus efficace que l’idéal non incarné d’une perfection féminine abstraite proposée par les traités sur la femme.

Afin de retracer les étapes d’une phénoménologie de l’héroïsme féminin à la Renaissance italienne, hors du domaine de la fiction littéraire assumée, l’écriture épistolaire des femmes, en vertu de ses indéniables intentions normatives et de divulgation, se révèle être un moyen d’enquête particulièrement éloquent pour saisir les enjeux d’une exaltation d’un héroïsme féminin hétéroclite, contingente et paradoxalement virilisante. En effet, faute d’un héroïsme d’épée, c’est par le biais de la plume que la dame vertueuse fait preuve de sagesse, de prudence, de prévoyance, de chasteté et de culture, en incarnant, dans le cadre de sa correspondance privée – toutefois susceptible de large diffusion après publication –, un idéal d’exemplarité féminine réel bien qu’exceptionnel et donc crédible. Une voix féminine doit se soumettre à l’autorité éditoriale masculine pour être légitime. Par ce biais elle sera amenée à défendre les idéaux, les mœurs et les coutumes de son époque, voire à diffuser les contenus d’une nouvelle spiritualité hétérodoxe.

Le cas des Lettere de Lucrezia Gonzaga (1552), noble veuve cultivée à la moralité irréprochable, qui relatent son existence romanesque et exemplaire, ou celui du vaste répertoire des Lettere di molte valorose donne (1548/49), un recueil de 263 lettres prétendument écrites par des femmes réelles et illustres à d’autres femmes connues, offraient des sujets/objets d’écriture particulièrement captivants et donc stratégiques d’un point de vue éditorial en vertu de leur exceptionnalité exemplaire. Le succès de ces initiatives éditoriales à l’authenticité incertaine, témoigne de l’efficacité communicative d’une autorité féminine fondée sur le paradoxe d’un héroïsme souvent contradictoire, instrumentalisé, tiré de modèles littéraires reconnaissables et incarné par des femmes réelles.

 

Enrica Zanin (Strasbourg), « Sémiramis: une héroïne entre féminin et masculin »

Je voudrais analyser la figure de Sémiramis et sa tradition à partir du De Claris Mulieribus de Boccace, de sa réception en Italie, en Espagne et en France au XVIe siècle (notamment chez Symphorien Champier, La Nef des dames vertueuses, le père Antoine Dufour, Les Vies de femmes célèbres) et enfin son adaptation dans les recueils de vies au XVIIe siècle en France (dans le Théâtre françois de François Dinet; La gallerie des dames illustres de Grenaille, le Femmes illustres de Madeleine et Georges de Scudéry, La femme héroïque du père  Du Bosc en 1645, les Éloges des douze dames illustres anonyme, La gallerie des femmes fortes du père Pierre Le Moyne en 1647). Je voudrais analyser quels traits héroïques sont mis en valeur par les différents auteurs, et ainsi  comprendre à partir de quels éléments « masculins » ou « féminins » l’héroïsme de Sémiramis est mis en valeur. Je voudrais ensuite considérer comment la conception de l’héroïsme féminin change dans le temps, en comparant les diverses versions de la vie de l’héroïne ancienne. Cette analyse ne peut se faire sans apprécier la portée exemplaire de la vie de Sémiramis. La vie de la reine est moralisée dans chaque récit, mais l’ambiguïté et la cruauté de l’héroïne sert, en fonction des auteurs, différents desseins pédagogiques.

 

Marie-Élisabeth Henneau (U. de Liège), « Héroïsme en clôture : de la contemplative silencieuse à l’amazone chrétienne. Discours et représentations de l’héroïsme féminin sous la plume d’annonciades célestes au XVIIe siècle »

Les annonciades célestes – ordre féminin d’origine génoise fondé en 1604 et implanté en pleine Guerre de Trente Ans sur la Dorsale catholique, face aux territoires protestants – ont produit une nombre considérable de chroniques, annales, journaux, mémoires, biographies spirituelles, abrégés de vertus, lettres, autobiographies et autres billets d’humeur, autant de témoignages d’expériences, vécues en espace clos, mais toujours en prise sur le monde, en quête d’éternité, mais sans cesse plongées dans le temps en cours. Des expériences riches et singulières, qui ont eu souvent raison des timidités ou des retenues des intéressées pour aboutir à des relations particulièrement savoureuses où alternent écriture de soi et écriture de l’histoire. Cette documentation inédite et pour une bonne part inexploitée – au contraire des fonds relatifs aux Visitandines – permet, notamment, d’approcher leur conception de la moniale tridentine idéale, mise en scène et en mots par des autrices dont le génie littéraire n’égale sans doute pas les grandes plumes de Port-Royal, mais dont la production révèle tant le large éventail de représentations de soi élaborées par les annonciades que la réception intra muros des discours tenus à leur propos dans le siècle. Contemplatives vouées à une très stricte clôture, ces femmes se voient néanmoins en missionnaires conquérantes d’un espace à (ré)évangéliser. Il s’agira d’étudier d’une part comment elles intègrent les recommandations de leur entourage masculin qui les incitent à la discrétion, à l’effacement, au silence, bref, à un héroïsme comparable à celui de la Vierge, qui dans le secret de sa chambre n’en conçoit pas moins le Sauveur de l’humanité et, d’autre part, et sans que cela soit contradictoire, comment ces cloîtrées vivent les péripéties de leur expansion en aventurières de Dieu et souhaitent, en les narrant, manifester au monde leur héroïsme au service de la Réforme catholique.

 

Chiara Rolla (Gênes), « Jeanne de Chantal dans les Mémoires de la Mère de Chaugy : une femme, une épouse, une mère et une religieuse aux vertus héroïques »

Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal (1572-1641) est une figure féminine très intéressante du panorama religieux du XVIIe siècle français. Elle fut épouse, mère de six enfants, veuve et finalement supérieure de l’ordre qu’elle fonda avec François de Sales en 1610, l’ordre de la Visitation Sainte-Marie. Les Mémoires de la Mère de Chaugy représentent la première biographie de cette femme, proclamée Bienheureuse le 21 novembre 1751 et canonisée le 16 juillet 1767. Ces Mémoires furent rédigés par sa consœur et secrétaire (Françoise-Madeleine de Chaugy) et publiés un an après sa mort (1642) ; ils étaient destinés, au départ, à ne circuler qu’à l’intérieur des communautés de la Visitation.

À travers un parcours à l’intérieur de ce texte, qui appartient aussi bien au genre hagiographique qu’à celui des mémoires, je voudrais mettre en évidence que l’image de la mère de Chantal qui jaillit de l’œuvre de Chaugy présente les caractéristiques de l’idéal de la femme forte, de la femme vaillante, trouvant dans l’histoire ancienne, grecque ou latine, mais surtout dans la Bible beaucoup d’exemples auxquels faire référence. Cela fait bien évidemment écho à une pratique littéraire très diffusée dans la première moitié du XVIIe siècle. De fait, la date de publication des Mémoires de la Mère de Chaugy coïncide emblématiquement avec la parution de grand nombre de recueils consacrés à l’héroïsme féminin[1]. Ce n’est donc pas par hasard si la troisième et dernière partie de ces Mémoires s’intitule « Les pratiques de ses héroïques vertus » : c’est ici en effet que la Mère de Chaugy complète le portrait de la fondatrice, dont l’âme, de la première[2] à la troisième partie du volume, se caractérise de par son extraordinaireté et sa fortitude. En rédigeant la biographie de Jeanne de Chantal, Chaugy construit donc un idéal d’héroïsme féminin à proposer comme un modèle à suivre pour ses consœurs, mais aussi pour le monde et pour le monde ecclésiastique en particulier, pour qu’on puisse, à une seule année de sa mort, commencer déjà à entamer le parcours vers sa canonisation.

 

 

Vendredi 29 janvier 2016, matin

 

Alain Cullière (U. Lorraine), « Un diptyque de l’amour et de la vertu. Sophonisbe et Arria vues par Guillaume Reboul (1597) »

Guillaume Reboul a publié simultanément La mort courageuse de Sophonisbe et La mort courageuse d’Arria, femme de Ceccina Paetus[3]. Ces deux brefs récits non fictionnels, qui ne sont pas l’ébauche d’une série de portraits consacrée aux femmes antiques célèbres, doivent être lus de façon antithétique, l’un à la lumière de l’autre. Sophonisbe est montrée comme le jouet des dieux, sous un olympe bruyant. Sa passion contrariée qui la conduit à la mort résulte du combat incessant que se livrent à son insu le dieu Amour et Fortune. Au contraire, sous le regard indifférent des divinités, Arria nous apparaît comme l’adversaire consciente et farouche de Fortune, à qui elle oppose sa constance, éminemment vertueuse, que renforce sa fidélité conjugale. Elle choisit de mourir pour demeurer en union avec son époux qui a été condamné par l’empereur. L’une et l’autre donnent au monde le même spectacle du courage, mais il n’est pas de même nature. Chez Sophonisbe, c’est l’effet de l’amour ; chez Arria, c’est la manifestation de la vertu. On nous invite ainsi à comprendre que la grandeur peut avoir même apparence, mais qu’elle n’est pas toujours de même ressort. Elle peut se subir comme se construire. D’ailleurs, les deux récits viennent en miroirs refléter cette contradiction interne. Si la similitude des titres suggère un parallélisme rassurant, le contraste des styles se révèle profondément perturbateur. Après la tonalité pétrarquiste, voire galante, du premier récit, le lecteur se heurte dans le second à une écriture plus serrée et tendue. De Boccace aux Scudéry, on constate que l’éloge de la femme est toujours pluriel, comme s’il fallait convoquer beaucoup de figures particulières pour s’autoriser à généraliser. À la structure ouverte et uniforme de la « galerie », Reboul a, de façon plus originale, préféré la structure fermée et définitive du diptyque.

 

Elisabeth Schneikert (Strasbourg), « Pauline, Livia, Kinge et quelques autres : l’héroïsme féminin dans les Essais de Montaigne »

Dans les Essais de Montaigne, la première image de femme qui se présente au lecteur est positive, chargée de courage et d’énergie physique. Par delà la prétendue misogynie de Montaigne, force est de reconnaître que nombre de femmes des Essais sont héroïques. Il s’agira alors d’interroger la posture héroïque de quelques figures féminines dans le cadre marital et amoureux.

L’essai II 35, « De trois bonnes femmes », présente ainsi des femmes vertueuses, qui se suicident pour suivre leur mari dans la mort ; l’essai peut être lu en résonance avec l’essai I, 30, « Des Cannibales », où les femmes des cannibales sont un modèle marital, cependant qu’elles trouvent aussi un avatar dans les femmes de Jacob ou du roi Deiotorus Stratonique. Le suicide par amour de Didon et de Cléopâtre appelle quant à lui une autre forme de sublime. Livia, la femme d’Auguste, Laodice, la reine d’Égypte ou encore Sextilia, la femme de Scaurus affirment de leur côté un héroïsme où entrent l’exercice de la raison ou le défi face au danger. Un réseau de figures féminines dont l’héroïsme s’articule autour du mariage, de l’amour et du désir se tisse donc dans les Essais.

Il sera enfin intéressant de confronter le traitement de ces références par Montaigne avec le récit qu’en font les auteurs anciens, de façon à évaluer l’inflexion que l’essayiste donne aux postures héroïques présentées.

 

Nicole Hochner (Université hébraïque de Jérusalem), « Les deux faces d’Esther, une héroïne liminale »

C’est sous le regard des vierges qui ornent les façades de la cathédrale de Strasbourg que j’aimerais proposer de traiter d’Esther. Esther n’est pas une héroïne que le XVIe siècle invente, au contraire cette figure biblique est bien connue du moyen âge qui la sollicite à maintes reprises. Cependant suite aux études philologiques et critiques qui mettent en lumière les ajouts grecs du livre d’Esther, l’histoire se scinde. D’un côté l’Esther de la Septante qui s’évanouit aux pieds du roi dans les bibles catholiques, et à l’inverse celle qui lui tient tête dans les bibles protestantes (et les bibles hébraïques). Il en résulte que l’Esther du moyen âge n’est pas complètement identique à l’Esther de la période moderne. Et pourtant, l’ambigüité d’Esther n’est pas l’unique fait de ces ajouts grecs. Les variantes possibles sont nombreuses entre l’Esther qui ne serait qu’un pantin dans la main de Dieu et celle qui à l’inverse mène à bien ses desseins en dépit de la médiocrité et faiblesse des protagonistes masculins qui l’entourent, en particulier le roi Assuérus, Haman le ministre corrompu, mais aussi d’une certaine mesure Mardochée, son oncle.

La grande particularité d’Esther dans le panthéon des héroïnes féminines est de n’être ni vierge, ni veuve, ni célibataire. C’est aussi l’une des rares héroïnes bibliques à œuvrer en dépit de son mariage. Car il n’y a sans doute pas d’obstacles plus grands à une femme que son mariage (en particulier en matière politique). C’est cette particularité que je voudrais souligner car elle possède, à mon avis, une grande importance pour le XVIe siècle. Je me propose de reprendre une partie du matériel mis de côté dans mon étude précédente sur Esther (voir ‘Imagining Esther in Early Modern France’, The Sixteenth Century Journal, XLI.3 (2010), 757-787) pour l’intégrer dans un nouveau dossier qui irait au-delà chronologiquement. Je continuerai à privilégier un corpus à orientation politique. Mais je traiterai en réponse au thème du colloque du paradigme de l’héroïne célibataire, vierge ou veuve, c’est-à-dire que je poserai à travers Esther la question de savoir s’il faut être vierge pour être héroïne? ou si on peut être épouse et héroïne à la fois, sans faire ombre à son époux ? Est-ce que Esther dans toute son ambiguïté serait à ce sujet l’exception qui confirme la règle?

 

Hélène Michon (Tours), « La duchesse de Liancourt : un exemple féminin d’héroïsme chrétien? »

Le texte qui sert d’appui à notre réflexion Règlement donné par une dame de haute qualité à M*** sa petite-fille pour sa conduite et pour celle de sa maison, comme son titre l’indique déjà, affirme d’emblée son originalité puisqu’il épouse non seulement la tradition des manuels de comportement, profanes ou chrétiens, mais encore celle des manuels de gouvernement, ici de gouvernement domestique. En effet, il hérite à la fois de l’Introduction à la Vie Dévote, composée, comme on le sait, à partir des lettres de direction spirituelle rédigées par François de Sales, et d’ouvrages d’éducation, comme peuvent l’être les différents règlements pour les enfants: celui de Jacqueline Pascal publié en 1657 : Règlement des écoles de filles, celui de Pierre Coustel en 1687 : Règles de l’éducation des enfants et celui de Fénelon : Traité de l’Éducation des filles, paru la même année. Il s’apparente également aux différents traités de civilité qui se veulent des références en matière de comportement social. Notre texte relève donc à la fois de la spiritualité, de la pédagogie et de la civilité.

Certes, notre grande dame ne figure pas aux catalogues des femmes illustres mais la dimension héroïque ne lui est pas étrangère puisqu’elle la cherche dans une pratique assidue des vertus, à l’école de François de Sales[4], tant il est vrai comme le souligne le prince de Conti qu’« un particulier peut se sauver avec une vertu commune un Grand ne le peut qu’avec une vertu héroïque[5] ». Il s’agirait alors d’étudier l’extraordinaire des vertus dans l’ordinaire d’une vie courante, appréhension claire de la dévotion civile comme plénitude de la vie de la grâce, mais encore liée à la devotio moderna dans son souci du simple et de l’ordinaire.

 

Richard Maber (Durham), « Sans estre bien malheureux, on ne peut estre qu’un Héros [ou : une Héroïne] fort médiocre »: les femmes fortes du Père Le Moyne et l’idéal de l’héroïsme dans la souffrance »

Il s’agira de proposer ici une étude comparée des critères de l’héroïsme féminin dans le traité de poésie héroïque de Le Moyne et de leur application dans le poème épique intitulé Saint-Louis, et dans la Gallerie des femmes fortes. L’oeuvre du jésuite Pierre Le Moyne, qui connut un succès considérable au XVIIe siècle mais qui fut longtemps victime, aux yeux de la postérité, de l’éreintage que Pascal lui fit subir dans les Provinciales, commence à être redécouverte depuis trois décennies seulement, en particulier pour sa Gallerie des femmes fortes que les études féministes, spécialement Outre-Atlantique, ont invité à relire. Il vaut la peine de resituer ce texte dans l’ensemble de la production de l’écrivain, d’autant qu’elle a le double avantage, dans la perspective qui nous occupe ici, de proposer une conception « intégrée » de l’acte littéraire, entre théorie et pratique, entre poésie et fiction narrative, et une conception « intégrée » de l’héroïsme : Le Moyne est sans doute l’un des rares auteurs en France à avoir pleinement saisi les enjeux du genre littéraire de l’héroïsme, l’épopée, tels que les a redéfinis un siècle plus tôt Le Tasse, l’auteur de La Jérusalem délivrée et du Traité du poème héroïque. A la conception de l’héroïsme épique antique, masculin et militaire, hérité d’Homère et de Virgile, Le Moyne ajoute une valorisation féminine de l’héroïsme en phase avec l’expression d’une modernité chrétienne – celle-là même que défendent les Modernes de la Querelle des Anciens et des Modernes qui éclate deux décennies plus tard – fondée sur le désir de sainteté et une gloire militaire paradoxalement associée à la passivité guerrière. Ce modèle éprouvé en fiction dans son épopée vient éclairer d’un jour nouveau les figures féminines de la Gallerie autour de la Régente Anne d’Autriche, et dessiner les contours d’un héroïsme total, sublimé et féminin.

 

Grégoire Menu (Harvard), « D’une exemplarité féminine paradoxale : statut narratif du personnage dans la Cour de sainte de Nicolas Caussin »

Il s’agira de considérer la ligne de partage (en partie sexuée) qui traverse la construction de l’exemplarité dans les Vies illustres de La Cour sainte de Caussin, entre les figures imparfaites et dès lors imitables (surtout masculines), et celles héroïques et seulement admirables (surtout féminines). Les plus grands souverains ne s’avèrent pas dignes d’imitation en raison de leur vaillance ou de leur sagesse mais parce qu’ils ont accompli de grandes actions en dépit de leurs fautes : tous « ont eu leurs taches »[6]. À l’inverse, les grandes dames honorées d’un portrait sont, elles, toujours présentées comme des modèles de perfection achevée et infaillible. Judith, Mariamne ou Marie Stuart sont ainsi autant d’héroïnes qui s’illustrent par des actes hors du commun provoquant l’admiration – mais pour cette raison même, elles se trouvent paradoxalement  disqualifiées en tant que figures à imiter. Si Caussin peut décrire les défauts des monarques – ce qui, semble-t-il, l’intéresse bien davantage que le récit hagiographique (de manière significative, le récit de la vie de Saint Louis, seul souverain parfait, est le plus court) –, il ne fait pas de même pour les dames. L’exemplarité féminine s’incarne alors dans des personnages secondaires : tandis que Pulcheria, l’héroïne éponyme d’une Vie, est désignée comme « un miroir de perfection »[7], les lecteurs sont finalement invités à imiter un autre personnage, Eudoxia, qui s’est pourtant éloignée un temps du christianisme. Apparaît ainsi une opposition entre la construction édifiante d’héroïnes aux vertus chrétiennes superlatives mais pour cette raison non exemplaires et celle de figures féminines pouvant elles servir de modèles imitables, du fait de leur imperfection même. La tension pratique entre éthique admirable et figure imitable qui travaille l’écriture de l’exemplarité dans nombre de livres de piété du siècle se répercute ainsi sur la perspective du personnel fictionnel féminin.

 

Barbara Piqué (Viterbe), « Les femmes illustres dans La Cour Sainte du père Caussin, sj. »

La section « Les Reines et Dames » de La Cour Sainte (1624, réédité jusqu’en 1674) de Nicolas Caussin constitue sans aucun doute l’un des grands jalons dans la construction de l’héroïsme féminin au XVIIe siècle, ne serait-ce qu’en vertu du succès que connut, en France comme en Italie et en Angleterre, ce manuel de vertu à l’usage des gens du monde, dans le sillage de Saint François de Sales.

Il s’agira :

– d’analyser le choix des figures féminines héroïques – personnages bibliques (Judith et Esther) et personnages historiques (Mariamne, Pulchérie, Clotilde, Marie Stuart), dont deux seules « dames » (Judith et Pulchérie) et cinq reines – et de s’interroger sur ces choix dans le contexte social, politique, moral et spirituel contemporain. Ainsi n’est-il pas anodin que parmi les personnages bibliques féminins Caussin ait privilégié les héroïnes de deux livres (Judith, Esther grec), considérés comme apocryphes par les Réformés.

– de relever les vertus que ces femmes illustres incarnent et leur rapport avec des déclinaisons d’un héroïsme « féminin » : les vertus évangéliques, comme la patience chez Mariamne ; une qualité plus « moderne », comme l’éloquence (cf. la ratio studiorum), chez Esther et Clotilde ; l’habileté politique (Pulchérie) ; le courage physique (Judith) ; la constance dans la foi (Marie Stuart).

– de vérifier la signification des autres, les nombreuses héroïnes auxquelles Caussin ne consacre pas de « Vie », mais qui, dans le long préambule de la section « Reines et Dames » tissent une toile de fond particulièrement significative, sur laquelle ressortent les six grandes « Illustres ». On remarquera en particulier l’éloge que Caussin décerne aux « régentes », où l’on peut facilement lire une allusion au rôle de Marie de Médicis – dont Caussin avait été proche – et d’Anne d’Autriche.

 

 

Vendredi 29 janvier, après-midi

 

Marie-Céline Daniel (Paris IV), « Marie Stuart et Élisabeth Tudor : femme fatale ou martyr, deux destins héroïques dans The Historie of the Life and Death of Mary Stuart de William Camden (1624) »

En 1624, une traduction française des Annales de William Camden paraît à Londres, sous le titre Annales des choses qui se sont passées en Angleterre et Irlande soubs le règne d’Elizabeth. Le livre d’origine, écrit en latin, était paru en 1615 à Londres, et relatait le règne d’Élisabeth jusqu’à l’année 1589. Il incluait donc la période précédant l’exécution de Mary Stuart.

Mary Stuart, descendante des Guise par sa mère, élevée en France et veuve du roi François II, avait plusieurs fois fait appel à la France lors de la guerre contre les Presbytériens ainsi que durant sa captivité anglaise et son procès. Logiquement, le texte de Camden fut donc traduit en français dès 1624, après la mort de son auteur, imprimé à Londres puis diffusé dans le royaume de France. Camden, qui avait travaillé en contact étroit avec Jacques Ier le fils de Mary Stuart, avait cherché à rendre quelque couleur à la reine d’Écosse, en minimisant les incohérences de la fin de sa vie. Cependant, en même temps, Camden était parvenu à conserver à Élisabeth toute sa majesté royale. Par conséquent, les Annales essayaient de réconcilier deux figures héroïques, a priori antithétiques puisque l’une avait provoqué la mort de l’autre.

Pourtant, le texte pouvait résonner encore d’une autre manière en France. Mary Stuart en héroïne et victime d’elle-même et des autres, Élisabeth en héroïne de pouvoir, venaient se refléter au miroir d’une autre femme : Marie de Médicis, mère du roi et ancienne régente de France, disgraciée puis réconciliée avec le roi Louis XIII. La communication, en anglais ou en français, examinera comme la traduction du texte de Camden a pu amener les contemporains à s’interroger sur les caractéristiques d’un héroïsme féminin, en en soulignant les forces mais aussi toutes les ambiguïtés, au moment même où la mère du roi manifestait une fois de plus le caractère désormais incontournable des figures féminines de pouvoir.

 

Catherine Pascal (Montpellier), « ‘Une pieuse, vaillante et sçavante Héroïne’ : Isabelle, reine de Castille, dite « Isabelle la Catholique »

Lorsque, en 1625, le père Hilarion de Coste fait figurer Isabelle 1ère de Castille (1451-1504) au nombre des personnalités illustres des deux sexes pour leur piété et leur sainteté de vie au cours des XVIe et XVIIe siècles dans son Histoire catholique (Paris, Pierre Chevalier, 1625), c’est (seulement) de « vertueuse et genereuse Dame et souveraine » qu’il la qualifie. À peine cinq ans plus tard, en 1630, la voici haussée au rang de « pieuse, vaillante et sçavante Héroïne ». Cette triade de vertus cumulées semblerait donc non seulement légitimer pleinement qu’elle eût droit de cité, à s’en tenir aux critères retenus, dans ses Eloges et vies des reynes, des princesses, et des dames illustres en Pieté, en Courage et en Doctrine, qui ont fleury de nostre temps et du temps de nos Peres (Paris, Sébastien Cramoisy, 1630 – réédition augmentée en 1647) mais justifier également le glissement terminologique, ce qu’attesterait le titre donné au récit de vie que le Minime consacre intégralement à la souveraine espagnole en 1661 : La Parfaite Héroïne (Paris, Edme Martin, 1661). À la même période, dans sa Gallerie des femmes fortes (Paris, Antoine de Sommaville, 1647), le Jésuite Pierre Le Moyne, après s’être demandé, dans une « Question morale », « si les Femmes peuvent prétendre à la Vertu heroïque », convoque lui aussi Isabelle de Castille comme parangon de cette « Vertu heroïque », au titre des « Exemples » modernes systématiquement associés aux « Peintures » de ses vingt « Fortes Juifves, Barbares, Romaines et Chrestiennes ».

C’est donc à cette figure de toute évidence emblématique de « l’héroïsme féminin » durant le premier XVIIe siècle, à l’heure précisément où une autre Espagnole, Anne d’Autriche, est devenue reine de France, que nous souhaiterions nous intéresser dans le cadre de cette communication. Nous voudrions en particulier analyser pourquoi et comment, lors même qu’Isabelle de Castille forme avec son époux Ferdinand II d’Aragon un exemple unique de double monarchie et qu’ils mènent de concert la Reconquista du royaume de Grenade qui leur vaut de se voir décerner à tous deux le titre de « Rois Catholiques » par le pape Alexandre VI en 1494, ces panégyristes choisissent d’exalter l’action de la reine au détriment de celle de son mari, et confronter l’image de femme d’exception, puisque, à lire le père Le Moyne, « il n’y eut que du grand et de l’Heroïque dans toutes les parties de sa vie », que véhiculent ces textes, à mi-chemin entre exemplum et Histoire, au jugement des historiens, tel Louis Turquet de Mayerne, dans son Histoire générale d’Espagne (Paris, Abel Langelier, 1608 – réédition complétée de façon posthume en 1635).

 

Claudie Martin-Ulrich (Pau), « Héroïne et princesse protestante : Eléonore du Roye face à son destin »

Si Hilarion de Coste ne retient pas, parmi ses femmes illustres, Eléonore de Roye 1535-1564), il n’empêche que cette princesse occupe une place tout à fait singulière dans l’histoire des guerres de religion et dans l’histoire de son temps. Place singulière par le rôle politique qu’elle a joué dans un certain nombre de négociations dont nous avons témoignage grâce à sa correspondance avec Catherine de Médicis, Elisabeth d’Angleterre, ou ses proches parents, mais aussi place symptomatique d’une princesse de la première modernité, dont on attend vertus, force, et actes dignes de mémoire et d’exemple, sinon actions héroïques. On connaît surtout cette princesse grâce à ses lettres, qui ont un intérêt historique, anthropologique et littéraire[8]. On y rencontre une princesse au service de sa foi et des siens, engagée dans une lutte exigeant sacrifice et dévotion, et montrant, dans les épreuves de son existence jusque dans sa maladie et sa mort, un courage qui a suscité un nombre tout à fait saisissant de témoignages et de d’hommages réunis dans l’édition moderne que nous utiliserons.

Pour étudier les modalités de l’héroïsation de cette grande princesse, nous concentrerons notre analyse tant sur sa correspondance – un corpus de lettres (29 manuscrites et 4 imprimées) – que sur les divers écrits rédigés dès après sa mort, en hommage à son courage et ses vertus. Elégie, épître, tombeau construisent la légende d’une princesse dont la renommée est immédiate et puissante. Suivant une méthodologie rhétorique et stylistique, nous proposons une analyse des marqueurs de cette héroïsation, des invariants et des modalités de la construction rhétorique d’un héroïsme féminin d’une figure considérable et encore assez peu connue du protestantisme français.

Les modèles d’élaboration de cet héroïsme féminin sont à chercher du côté de l’édification du statut des princesses, reines et filles de France, statut bien attesté dans les années 1550, sans que soient totalement écartés des modèles plus traditionnellement masculins et politiques d’une part et de l’autre, des interactions avec le néo-stoïcisme de la dernière partie du XVIe siècle.

Cette étude particulière prend place dans un certain nombre de travaux en cours sur la consolation en prose à la Renaissance en France et en Europe, notre intérêt pour l’étude de corpus non fictionnels dont les correspondances et se situe dans la lignée de nos publications sur la princesse.

 

Cécile Huchard (U. Lorraine), « Jeanne d’Albret et Elizabeth d’Angleterre : reines et héroïnes protestantes ? »

Le protestantisme français, au moment des guerres de religion, entretient un rapport ambigu avec la monarchie, et avec le pouvoir féminin. Cependant, deux femmes, deux reines, dans des contextes assurément différents, vont jouer un rôle de premier plan dans l’établissement et la défense de la religion protestante. Il s’agit alors d’étudier, chez les historiens et les poètes protestants du temps (La Popelinière, Goulart, Aubigné…), la façon dont on célèbre leur personne et dont on rend compte de leur action, les louanges et l’héroïsation dont elles font l’objet autant que les éventuelles réticences qui s’expriment à leur endroit, ainsi que les rapports entre politique, religion et féminité que de telles perceptions laissent entrevoir.

 

 

Samedi 30 janvier, matin

 

Nadine Kuperty-Tsur (Tel-Aviv), « Marguerite de Valois ou prix de l’héroïsme féminin »

Dès l’ouverture de ses Mémoires, Marguerite de Valois se peint comme l’héroïne d’une allégorie, celle du combat entre Fortune et Nature. Toute enfant, sur les genoux de son père, elle se distingue par une clairvoyance qui lui dicte de s’éloigner du duc de Guise et qui tend à montrer les qualités politiques innées qui l’appelaient à un grand destin, qu’elle n’a pas eu. Elle relate la première mission politique que lui confie son frère d’Anjou en lui demandant, pendant son absence, de représenter ses intérêts à la cour auprès de Catherine, leur mère. Le recours à la figure biblique de Moïse traduit la dimension héroïque que cette mission représente pour Marguerite. A partir de là, pour chacune des étapes du récit, Marguerite construit son personnage de façon à lui donner une dimension indiscutablement héroïque, on le verra pour le récit de la Saint-Barthélemy, celui de son ambassade auprès de Don Juan d’Autriche ou encore lorsqu’elle se peint en héroïne stoïque répondant aux instances de son mari qui lui demande de se lever pour assister, sa maîtresse, Fosseuse, pendant son accouchement. Les exemples de figuration en héroïne abondent qu’ils soient liés à Marguerite ou à d’autres, comme l’épisode de la mort tragique de Melle de Tournon dont on montrera qu’il fonctionne à la façon d’un portrait par procuration de Marguerite.

Après avoir présenté un échantillon significatif de figurations héroïques, on s’interrogera sur les modèles qui nourrissent cette héroïsation systématique de Marguerite dans ses Mémoires. S’agit-il d’emprunts à la littérature gréco-latine dont elle était fervente lectrice ? S’agit-il d’une posture justifiée par sa noblesse, exigeant le recours à l’exceptionnel et à l’hyperbole pour faire valoir sa qualité et son rang ? Peut-on y voir l’interférence de modèles issus de l’héroïsme chrétien –La Vie des Saints et des Saintes (La Légende dorée) ? Enfin, la figuration en héroïne n’était-elle pas aussi dictée par le besoin de justifier l’appropriation par une femme de ce genre encore très masculin que sont les Mémoires à l’orée du XVIIe siècle ?

 

Nathalie Grande (Nantes), « L’héroïsme féminin au creuset de la mémoire : Madame de La Guette »

Les Mémoires de Madame de La Guette, parus en 1681, permettent d’appréhender une femme que son parcours de vie a conduite à se manifester comme héroïne, en particulier comme héroïne guerrière dans le long récit qu’elle consacre aux événements vécus par elle au moment de la Fronde[9]. Cependant, si des événements historiques conjoncturels révèlent l’héroïne dans la femme, il est difficile de réduire l’héroïsme de Mme de La Guette à son intrépidité et à son sang froid dans les situations périlleuses. Comme ses mémoires le montrent, sa virtù s’accompagne d’une piété profonde, qui constitue (peut-être ?) un trait distinctif de l’héroïsme féminin par rapport à son pendant masculin. De plus, l’empan biographique que retracent les mémoires ne se limite pas aux temps héroïques de la Fronde, puisque Mme de La Guette commence avec sa naissance (1613) pour terminer au soir de sa vie, en 1676. Même si c’est la confrontation avec de grands événements historiques qui, comme le suggère M. Cuénin, ont amené la femme de petite noblesse à prendre la plume et à se confronter à un genre prioritairement aristocratique et masculin, cette causalité n’a pas entraîné la limitation du récit à la courte période aventureuse de la vie de la mémorialiste. Il faut donc se demander si l’on trouve, au fil de l’ensemble du texte, les sources et les indices d’un héroïsme que son irruption éclatante n’empêchait pas d’exister avant sa manifestation publique, et qui s’enracinait et se manifestait dans une vie plus quotidienne. Cette réflexion sur la nature du modèle héroïque que suggère la vie de Mme de La Guette nous amènera ainsi à souligner comment ses mémoires accusent une sorte de décalage entre les faits narrés et le bilan réflexif que la mémorialiste suggère discrètement a posteriori. Ce regard rétrospectif illustre-t-il la perte d’un certain idéal héroïque spécifiquement féminin ? suggère-t-il l’avènement d’un nouveau modèle ? ou est-il à mettre en relation avec la démolition du héros, qui n’a pas épargné l’héroïne ?

 

Jean Garapon (Nantes), « Deux visages de l’héroïsme féminin pendant la Fronde : Mlle de Montpensier et Mme de Longueville »

Je propose une communication qui s’intitulerait L’héroïsme d’une princesse, et traiterait du cas très riche de Mlle de Montpensier, en montrant comment ce modèle de conscience exaltée de soi, de comportement aussi, connaît plusieurs stades distincts, et se nourrit de riches tensions. Le personnage, peu intellectuel et peu liseur dans sa jeunesse, développe une image de lui-même grandie par la ferveur monarchique, et le courant des Eloges, parfois à lui adressés (qu’il faudra présenter). Mademoiselle accomplit pendant la Fronde des exploits à caractère héroïque, et l’on pourra revenir sur les récits des Mémoires, tout d’éclat, de jubilation, de lucidité secrète aussi. Le plus important chez elle, du point de vue de l’héroïsme, est peut-être ce qui suit la Fronde : un long mûrissement dans un équilibre de vie qui se veut exemplaire, fait de revendication d’autonomie, de fierté de bâtisseuse, de liberté farouche face à la cour, de réflexion morale exigeante, de refus paradoxal de la futilité mondaine, de générosité. L’héroïsme extérieur des débuts s’intériorise progressivement, dans la fidélité à une conscience de princesse Bourbon, et aux devoirs qu’elle impose. La double comparaison avec les textes mémoriels de sa rivale devenue grande amie Mme de Longueville, et avec ceux d’une reine fameuse, Christine de Suède, comparaison qui n’a pas été faite jusqu’à présent, fera ressortir les qualités propres de cet héroïsme féminin princier.

 

Francine Wild (Caen), « L’héroïsme féminin dans les Historiettes de Tallemant des Réaux »

Tallemant nous apporte sur ses contemporains un point de vue riche et composite : c’est un bourgeois qui fréquente toute la société mondaine de la ville, bourgeoise ou aristocratique (notamment à l’Hôtel de Rambouillet) et qui suit de près toute la vie littéraire et artistique parisienne (en particulier l’Académie encore débutante). Il évoque l’héroïsme féminin sous des angles divers et son propos, tantôt personnel tantôt reflétant celui d’autrui, n’est pas univoque.

La date de rédaction des Historiettes (1657-1659) correspond à la période de « démolition du héros ». De fait, l’héroïsme, féminin ou masculin, est souvent traité avec ironie, quelquefois avec une référence aux modèles romanesques. Il n’en existe pas moins une historiette « femmes vaillantes ». Point intéressant, ces héroïnes sont des aristocrates et des femmes du peuple.

C’est bien évidemment l’héroïsme moral qui domine dans le recueil, par exemple chez des femmes qui refusent d’épouser leur ravisseur, qui montrent une grande fermeté face à la mort à l’occasion d’une grave maladie, ou qui simplement font montre de détermination et de constance dans leurs choix. Il n’y a aucun critère moral : Ninon est admirée pour la liberté de ses mœurs et pour son libertinage philosophique.

Les épithètes qui apparaissent le plus pour louer une femme sont « habile » et « raisonnable ». Un relevé plus complet permettra de déterminer à quelles conditions une femme est, aux yeux de l’auteur, illustre ou digne de l’être. Il conviendra de vérifier si les qualités qui fondent l’excellence d’une femme se distinguent fortement ou non de celles que Tallemant – et derrière lui, la société de son temps – demande aux hommes pour leur accorder son admiration.

 

Yann Lignereux (Nantes), « Catherine de saint Augustin : une héroïcité sans héroïsme ? La Nouvelle-France et le procès de la théocratie jésuite, 1660-1680 »

Avant d’être des catégories politiques et esthétiques, la gloire et le héros émargent dans un univers religieux : la gloire, en théologie, désigne la manifestation sensible de l’absolue perfection divine ; l’héroïsme, plus précisément, l’héroïcité, constitue une qualité canonique nécessaire dans le procès de sanctification conduisant, de la reconnaissance d’une vie spirituellement exemplaire, à la promulgation des bienheureux et des saints catholiques puisqu’avec la certification de vertus « pratiquées à un degré héroïque » le candidat à la canonisation est promu « vénérable ». Le 8 novembre 2014, une des grandes figures religieuses de la Nouvelle-France, Jeanne Mance, l’une des fondatrices de Ville-Marie/Montréal, a été élevée à cette dignité par le pape François. Elle rejoint alors les hautes figures féminines du Canada français, Marie de l’Incarnation, Tékakwitha, Marguerite Bourgeois et Marie de la Ferre. Cette année 2014 est également celle du 375e anniversaire de l’arrivée des Augustines à Québec et le 25e anniversaire de la béatification de Marie-Catherine de saint Augustin.

Morte en 1668 à Québec, la Mère hospitalière fait l’objet trois ans plus tard d’une biographie rédigée par son confesseur, le Père jésuite Paul Ragueneau, dévoilant l’héroïsme dont elle a fait preuve en peignant une vie toute entière placée sous le signe du miraculeux, du sacrifice et de la lutte, corps à corps, contre les puissances maléfiques. Un combat « taisible », proportionnellement aussi discret que nécessaire à l’affirmation du pouvoir du roi sur cette partie du monde et à la victoire de la religion catholique contre les forces démoniaques qui y régnaient souverainement. Le contexte politico-religieux, mais aussi littéraire, de son combat et les controverses entourant la réception de sa biographie, constituent les éléments d’une étude interrogeant l’une des modalités, dans le dernier tiers du XVIIe siècle, de la « démolition du héros », chrétien et féminin, éclairant ainsi la transformation de l’exemplarité vertueuse – celle des héros, des illustres et des « femmes fortes » – et accompagnant les prémices de la célébrité du siècle des Lumières.

Le but de ma communication est d’étudier ce difficile héroïsme féminin dont le propre est peut-être moins de témoigner d’un univers spirituel triomphant que de révéler la sécularisation de la gouvernance publique à l’œuvre dans la Nouvelle-France des années 1660-80 en requalifiant les prérogatives du politique, du religieux et du sexe au bénéfice seul de la normalisation et de l’illustration royales.

 

Anne-Claire Volongo (Paris –Nanterre), « Angélique Arnauld ou l’héroïsme anéanti »

Principal objet de l’intense activité éditoriale de Port-Royal, l’abbesse Angélique Arnauld est rapidement passée du statut de réformatrice exigeante à celui d’héroïne, lorsque le monastère connut les premiers signes de la persécution. Même si la dispersion des religieuses et la destruction du monastère n’interviennent qu’après sa mort, la vie et les œuvres d’Angélique Arnaud préfigurent la destinée tragique de Port-Royal : c’est du moins l’image qu’en donne la multitude d’écrits qui fleurissent à son sujet, sous la conduite de sa nièce Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly, véritable chef d’orchestre de cette entreprise d’héroïsation de la Thérèse de Cîteaux.

Grâce aux sources variées dont nous disposons sur Angélique – correspondance, récit autobiographique, relations des religieuses, conférences – il est aisé d’étudier le processus d’héroïsation de l’abbesse en comparant les traitements successifs d’un même épisode relaté d’abord par la principale intéressée puis par les défenseurs de la mémoire de Port-Royal : journée du Guichet, la Fronde, le miracle de la sainte Epine, le début de la persécution. Il est ainsi possible de préciser les critères de l’héroïsme féminin à Port-Royal.

Est-ce à dire que la dimension héroïque chez la Mère Angélique n’est qu’une création postérieure, fruit d’une réécriture de la vie de l’abbesse ? En s’intéressant aux témoignages autobiographiques (relation autobiographique et surtout correspondance), on découvre chez Angélique Arnauld une vision effectivement héroïque de l’existence, même si cet héroïsme n’est pas d’abord voué à la défense des intérêts du monastère, mais bien davantage à la conquête de son propre salut. Un héroïsme tout intérieur, en quelque sorte, par opposition à l’héroïsme plus militant qu’une Angélique de Saint-Jean manifestera avec éclat dans ses écrits de résistance et de captivité. La correspondance d’Angélique révèle une personnalité traversée de combats spirituels rudes, à l’autorité certaine et à la volonté affirmée mais combattue intérieurement par l’obsession de l’humilité, du silence et surtout de son salut qui l’éloigne peu à peu des péripéties du monastère au profit de ses luttes intimes, où l’angoisse de la mort et du jugement occupe une place croissante.

Enfin, comment ne pas évoquer le long commerce épistolaire de la Mère Angélique avec la Reine de Pologne ? Durant ces années de correspondance, l’abbesse renvoie sans cesse Louise-Marie de Gonzague aux exemples héroïques des reines de l’Ancien Testament pour éclairer la conduite de sa royale dirigée, dans des lettres au style plus travaillé qu’avec ses autres correspondants.

 

Agnès Cousson (Brest), « Écriture de soi et héroïsme dans les lettres et récits d’Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly »

Endurance, maîtrise de soi, abnégation, sont des vertus religieuses fondamentales. Ce sont aussi des substantifs récurrents des lettres d’Angélique de Saint-Jean, religieuse et abbesse de Port-Royal, dans l’évocation de ses compagnes résistantes à la signature du Formulaire imposé par le roi. Si la religieuse ne s’approprie pas ces termes, suivant la règle d’humilité du couvent, ses lettres, son récit de captivité, les témoignages de ses contemporains montrent qu’elle partage ces vertus. Le terme « héroïsme » est absent, interdit d’expression au monastère de Port-Royal, imprégné de la morale de saint Augustin. L’être humain, « faible » par nature, doit son mérite à Dieu. La fermeté des résistantes est une « marque » de la « puissance de [sa grâce victorieuse] », selon Angélique de Saint-Jean, et les rétractations des signeuses sont des « marques » de « l’efficace de sa grâce médicinale ». Paradoxalement, les règles religieuses d’oubli et de don de soi induisent un comportement héroïque. Les exhortations à lutter contre les inclinations naturelles sont légion. Les portraits des lettres d’Angélique de Saint-Jean témoignent de comportements héroïques. Par exemple, celui de la mère Agnès mourante, qui trouve la force ultime de lever le bras pour bénir ses filles, quand elle ne peut plus parler, celui d’une novice, heureuse de mourir « pour la vérité », malgré la privation des sacrements, celui de Charlot, jardinier à Port-Royal, qui paye de sa vie son refus de briser la porte de la clôture des religieuses. Les brefs autoportraits du récit de captivité d’Angélique de Saint-Jean également. L’image de la religieuse clamant son nom à genoux devant la foule assemblée, le jour de la dispersion de la communauté par l’archevêque de Paris, contraste avec celle de la prisonnière qui travaille seule dans l’obscurité de sa cellule, ou qui chante dans le silence de la nuit pour ne pas perdre sa voix. Coup d’éclat public ou grandeur muette réservée au lecteur, le récit offre deux manifestations d’héroïsme opposées, classiquement associées l’une, à l’héroïsme masculin, l’autre, à l’héroïsme féminin. La grandiloquence de l’expression de cette religieuse cultivée, qui clame la « gloire » de mourir en « martyre » de Dieu, et qui mentionne « l’honneur » de sa famille, rappelle celle des héros profanes.

Notre communication se propose d’étudier les modalités d’écriture mises en œuvre dans l’élaboration d’une image héroïque de soi compatible avec la vision anthropologique de l’homme qui domine à Port-Royal, et les modèles moraux qui sous-tendent cette représentation, individuelle ou communautaire. Le Christ, Job, les saint(e)s de l’Église primitive sont cités, également Esther et Sarah, héroïnes bibliques de référence, et, héros inattendu sous la plume d’une moniale, Samson, réputé pour sa force physique. Des membres de la communauté font figures de modèles, la réformatrice, Angélique Arnauld, ou Hamon, le médecin. Les vertus priment sur l’identité sexuelle du référent, suggérant que le modèle de l’héroïsme chrétien, conçu sur le sacrifice, entraîne, par définition, une annulation des distinctions hommes-femmes. La finalité apologétique et hagiographique de l’écriture de l’histoire à Port-Royal accentue cette indifférenciation générique au profit d’une uniformité dans une vertu hors norme. Toute distinction n’est pas abolie. La sensibilité, les pleurs, attributs classiquement « féminins », caractérisent les moniales célébrées. Cette confusion du féminin et du masculin amène à s’interroger sur les critères qui définissent l’héroïsme à Port-Royal, et sur les valeurs qui le constituent. Y a-t-il une représentation féminine de l’héroïsme ? Les desseins de la mise en scène du moi héroïque devront être analysés. Stratégie de défense dans le cadre de la lutte communautaire, l’héroïsation de soi vise aussi l’édification morale du lecteur. Elle est une stratégie didactique, à valeur mimétique.

Enfin, que révèle l’expression de soi sur un mode héroïque de l’imaginaire et de la personnalité de celle qui écrit ? De même, l’extase éprouvée dans la persécution, qui conduit Angélique de Saint-Jean à célébrer la « beauté » de sa prison, et celle de sa communauté isolée ? Quel modèle cette religieuse de la seconde génération de Port-Royal livre-t-elle à la postérité ? Quelles influences sur la spiritualité ?

Les lettres et la Relation de captivité d’Angélique de Saint-Jean, seront nos sources principales, complétées par sa Relation de la vie de la mère Angélique.

 

 

Samedi 30 janvier, après-midi

 

Christine Mongenot (Cergy-Pontoise), « Représentations et modes de transmission des figures héroïques féminines dans le cadre de la littérature d’éducation destinée aux filles (XVIIe-XVIIIe siècles) »

A partir de la fin du XVIIe siècle, se développe une littérature exemplaire, démarquage des « Galeries de femmes fortes » et « Recueils de femmes illustres » déjà largement représentés dans le champ éditorial.

Il s’agit cette fois d’ouvrages étroitement adaptés pour l’éducation des filles, destinés à fournir des  exempla  susceptibles d’illustrer un discours moral sur la conduite féminine et participant à la construction d’un propos normatif.

Constitués de « collections » biographiques, ces ouvrages sont donc dès l’origine placés sous le signe d’une réelle tension entre les valeurs héroïques qu’incarnent les figures qu’ils convoquent et les valeurs féminines promues dans les institutions éducatives féminines à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle.

On pourra analyser ce corpus spécifique appelé à une postérité certaine (jusqu’au XIXe siècle !) en s’interrogeant principalement sur :

– les choix opérés : quelles sont les figures féminines héroïques privilégiées ? quels critères fondent ces choix ?

– les reconfigurations des valeurs héroïques dans des ouvrages à forte portée didactique.

 

Antoinette Gimaret (Limoges), « Héroïsme et sainteté féminine : la construction d’un paradigme de la femme illustre et les problématiques de sa réception dans les biographies hagiographiques au XVIIe siècle »

A l’ouverture de la Vie qu’il consacre à Marthe d’Oraison[10], le père Pierre Bonnet énumère les reproches que son lecteur ne manquera pas de lui faire, en premier lieu celui d’avoir voulu faire de Marthe une héroïne : « Il dira que je veux faire du sçavant et de l’homme qui a leu, faisant le rapport des actions des vieux cavaliers et chefs de guerre, aux petites resolutions d’une femme ». Sans aucun doute, ce rapprochement lui vaudra d’être moqué : « Je me sers des actions les plus heroiques des siecles passez lors que l’occasion semble se présenter, et m’embarrasse avec l’aulne en main de ces glorieux desseins pour mesurer les merites d’une simple femme. C’est bien pour le moins se mettre à la merci du satyrique et faire des impertinentes chimères ». Faire de Marthe une femme héroïque ferait basculer son biographe de l’Histoire vers la chimère, de la vérité vers « l’embellissement » de la fiction. L’auteur s’en défend, au nom de la portée hagiographique de son récit : « Les grands combats qui se rendent à la suitte de nostre vie et que la vraye vertu de force ne se trouve pas moins dans les exercices d’un Chrestien que parmy les rencontres des guerres. Nos martyrs ont combattu et vaincu […], les Veuves, Vierges et jeunes Dames ont rapporté des trophées du monde ».

Il s’agira de voir plus largement comment, dans le corpus spécifique des biographies spirituelles du XVIIe siècle, le prisme héroïque participe des indices hagiographiques topiques permettant de construire un modèle exemplaire de sainteté (dans le lien récurrent sanctification / héroïsation). Le recours à la métaphore du combat, l’usage du registre épique, l’évocation d’une fama, permettent d’y valoriser un extraordinaire de la foi[11], ce procédé analogique d’héroïsation traçant une ligne de partage entre un héroïsme du combat guerrier et un héroïsme plus proprement « féminin » de la souffrance et de la charité, en lien avec l’évolution contemporaine des procédures de canonisation (reconnaissance du critère d’héroïcité des vertus). On verra pourtant que cette héroïsation n’est pas unanimement reconnue et peut compliquer la réception des Vies (fiction légendaire contre vérité historique) comme la reconnaissance de la figure (problématique de l’extraordinaire face à l’obéissance ou à la bienséance).

Corpus d’étude envisagé :

Nous nous proposons (mais ce corpus peut être modifié au besoin) d’étudier en parallèle trois biographies spirituelles :

La Vie admirable et digne d’une fidele imitation de la B.Mere Marguerite d’Arbouze ditte de Saincte Gertrude, Jacques Ferraige, Paris, Fiacre Dehors et Jean Moreau, 1628.

L’Amour de la pauvreté descritte en la vie et en la mort de haute et puissante dame Marthe, marquize d’Oraison, Pierre Bonnet, Paris, Pierre Recollet, 1632.

-La Vie de la venerable Mere Jeanne Françoise Fremiot, Henri de Maupas du Tour, 3e éd., Paris, Simeon Piget, 1645.

Publiées dans la première moitié du siècle, ces trois vies sont contemporaines à la fois des grands mouvements fondateurs impulsés par la Réforme tridentine et des réformes liées à la canonisation. Elles ont aussi pour point commun de concerner trois « femmes illustres en piété » qu’Hilarion de Coste ajoute à sa liste dans l’édition de 1647 de ses Eloges (Jeanne Françoise Frémiot dite Jeanne de Chantal ; Marguerite d’Arbouze ; Marthe d’Oraison), ce qui suggère une sorte d’actualité de la piété. Enfin, à ce titre il sera possible de les confronter avec l’œuvre de Coste et d’interroger les clivages entre éloge et biographie, hagiographie et Histoire, admiration et imitation.

 

Maxime Perret (Paris), « Splendeurs et misères de l’héroïsme féminin au Grand Siècle : les dames du XVIIe siècle dans les Causeries du lundi de Sainte-Beuve »

Les quelques lignes écrites par Sainte-Beuve au début de la Causerie du 24 mars 1851 consacrée à la Grande Mademoiselle permettent de mettre au jour la manière dont le critique des Lundis conçoit l’héroïsme féminin du xviie siècle.

Une des figures les plus originales, les plus singulières et à la fois les plus naturelles du XVIIe siècle, est certainement la grande Mademoiselle, fille de Gaston, nièce de Louis XIII et cousine germaine de Louis XIV. Il y a, dans chaque époque, un certain type à la mode, un certain fantôme romanesque qui occupe les imaginations et qui court, en quelque sorte, sur les nuages. À la fin de Louis XIII et au commencement de Louis XIV, ce type et ce modèle s’était principalement formé d’après les héros et les héroïnes de Corneille et aussi d’après ceux de Mlle de Scudéry.

Les femmes du « Siècle de Louis XIV » dont Sainte-Beuve raconte l’histoire incarnent des valeurs viriles et correspondent à des modèles fictionnels explicitement nommés (Corneille et Mlle de Scudéry). Il existe pourtant des nuances dans les portraits de femmes que l’histoire a retenues et dont on (re)publie les mémoires ou la correspondance au xixe siècle : toutes ne sont pas héroïques au même degré. Sainte-Beuve fait-il une distinction entre les femmes ayant eu un destin politique et celles qui n’ont que des honneurs littéraires ? En d’autres termes, certaines femmes sont-elles plus héroïques que d’autres ? Je propose d’étudier les différentes actualisations de ce « fantôme romanesque » identifié par Sainte-Beuve dans les Causeries consacrées aux femmes du xviie siècle (entre autres : Mlle de Scudéry, la Grande Mademoiselle, Madame mère du Régent, la princesse des Ursins, Mlle de La Vallière, Mme de Sévigné, Mme de Maintenon). Comment le critique littéraire met-il en scène ces personnages historiques féminins ? Quels moyens littéraires utilise-t-il pour recomposer un portrait héroïque de ces femmes ? Quels modèles convoque-t-il pour expliquer leurs destinées exceptionnelles dans un monde gouverné par les hommes où elles jouent parfois un rôle de premier plan ?

 

[1] Cf. C.Pascal, Les recueils de femmes illustres au XVIIe siècle, Communication donnée lors des premières Rencontres de la SIEFAR : « Connaître les femmes de l’Ancien Régime. La question des recueils et dictionnaires » Paris, 20 juin 2003, http://www.siefar.org/docsiefar/file/Pascal-dicos.pdf, consulté le 18/01/2015. Pour une bibliographie plus ample des textes et des études critiques voir notre Bibliographie dans le volume E.Bricco, R.Galli Pellegrini, S.Poli, C.Rolla, Pour un musée virtuel : le salon des « Femmes illustres », Genoa University Press, 2012, p.260-264.

[2] La première et la seconde partie de l’œuvre s’intitulent respectivement : « Ses années passées au monde » et «Les actions de sa vie religieuse ».

[3] Quatre éditions (Lyon, 1597 ; Rouen, 1598 ; Paris, 1599 ; Rouen, 1600).

[4] « Or, en la prattique des actes heroiques de la vertu consiste la parfaite imitation du Sauveur, qui, comme dit le grand saint Thomas, eut des l’instant de sa conception toutes les vertus en un degré heroique. », François de Sales, Traité de l’Amour de Dieu, livre III, ch. IX, éd. d’A. Ravier, coll. « La Pléiade », Gallimard, 1969, préface, p. 739.

[5] Du Devoir des Grands, du Prince de Conti, publié à la suite du Règlement, Paris, chez Saugrain et Lamy, 1779, p. 16.

[6] N. Caussin, La Cour sainte du R. Pere Nicolas Caussin de la Compagnie de Iesus, tome second contenant els vies et les éloges des personnes illustres de la Cour, tant du vieil que du nouveau Testament, divisez en cinq ordre. Les Monarques et princes, les Reynes et Dames, Les Cavaliers, les Hommes d’Estat, Les Hommes de Dieu, Paris, Jean Du Bray, 1645, p. 13.

[7] Ibid., p. 225.

[8] Autour d’Eléonore de Roye, princesse de Condé, étude du milieu protestant dans les années 1550-1565 à partir de documents authentiques nouvellement édités, édition par Jane Couchman et Colette H. Winn, avec la collaboration de François Rouget, Paris, H. Champion, 2012.

[9] C’est ainsi qu’elle entre au panthéon des figures d’amazone, dans l’article de Laurent Angard, « Le fleuret et la plume. Une amazone au XVIIe siècle. Les Mémoires de Madame de la Guette », dans Réalité et représentation des amazones, Guyonne Leduc éd., L’Harmattan, 2008.

[10] L’Amour de la pauvreté descritte en la vie et en la mort de haute et puissante dame Marthe, marquize d’Oraison, Paris, Pierre Recollet, 1632.

[11] A titre d’exemple, dans la Vie de Marthe d’Oraison par le père Marc de Bauduen, 1671 : « sublime exercice de l’amour Divin […], heroiques pratiques d’une charité parfaite envers les pauvres dont elle a fait une profession si publique […] en choisissant la fameuse ville de Paris pour Théâtre de ses divines perfections. »