Lectures du théâtre français des XVIe et XVIIe s. (Strasbourg)

  • End date:
    15/01/2020, 00:00
EECKHOUT, Gerbrand van den Portrait of a Boy as Daifilo 1642 Oil on panel, 61 x 51 cm Private collection (source : WGA)

EECKHOUT, Gerbrand van den
Portrait of a Boy as Daifilo
1642
Oil on panel, 61 x 51 cm
Private collection (source : WGA)

Lectures du théâtre français des seizième et dix-septième siècles

Projet de colloque, Université de Strasbourg, automne 2020 (dates à préciser)

Sandrine Berrégard, Faculté des Lettres, E.A. 1337 « Configurations littéraires » et C.E.L.A.R.

Argumentaire

Si la lecture du théâtre est souvent considérée comme un mode de réception incomplet voire dépourvu de pertinence pour un genre qui ne s’accomplirait pleinement que dans la réalisation scénique, il s’agit là au contraire d’une approche privilégiée par ceux qui expriment leur méfiance à l’égard des comédiens et des aléas auxquels leur jeu soumet l’œuvre dramatique1. Loin de nous l’intention de mettre en concurrence, pour montrer la (prétendue) supériorité de l’une sur l’autre, ces deux manières de restituer le texte de l’auteur ; notre projet consiste à examiner, en une perspective littéraire plutôt que spectaculaire2, les différentes modalités de lecture dont fait l’objet le théâtre en France aux seizième et dix-septième siècles ou celles auxquelles il se prête désormais. Le choix de la période retenue (1550-1715), qui s’étend du début de l’humanisme jusqu’à la fin du classicisme, tient à plusieurs facteurs : la grande variété des types de lecture auxquels donne alors lieu la littérature théâtrale, en fonction du contexte social et des objectifs visés (la lecture scolaire, dont la finalité ultime est l’apprentissage de l’art oratoire, par opposition à la lecture mondaine, davantage tournée vers le divertissement) ; les difficultés particulières que pose le théâtre de la première modernité et que la lecture, plus aisément que la représentation, permet de surmonter (le lecteur, d’hier ou d’aujourd’hui, dispose le cas échéant d’outils – dictionnaires de langue, répertoires de fables – qui lui facilitent la compréhension littérale des textes3 ; ou encore la liberté qu’il possède, comparée aux contraintes qui s’imposent au spectateur, l’autorise à passer outre la place parfois considérable accordée au lyrisme ou à la narration4 ; l’existence d’un riche appareil paratextuel (préface, avertissement, épître dédicatoire, Argument…) dont la taille ne cesse de croître et, surtout, qui témoigne de l’importance accordée au lecteur, quand il ne suggère pas l’idée d’une véritable autonomie de l’acte de lecture.

Le lecteur de théâtre ne saurait pour autant être tenu pour un archétype, non plus que le spectateur ou l’« auditeur », comme il est volontiers nommé. Il est en effet autant de lecteurs que de lectures possibles, les uns et les autres s’inscrivant dans un parcours, qu’il conviendra de retracer. Les diverses acceptions que revêt, dans la langue des seizième et dix-septième siècles, le terme de lecture ou le verbe correspondant permettent déjà de dresser une première typologie :

Leçon ; enseignement (cf. le syntagme, relevé aussi par Huguet, « Lire en droit, en philosophie, en théologie » : enseigner le droit…) __ à quoi fait écho l’une des définitions fournies par Furetière : « érudition, science profonde ». Le théâtre est donc potentiellement un objet de savoir et un lieu d’apprentissage. En dépit de ce qui distingue le poète de l’historien5, la tragédie constitue ainsi un réservoir de connaissances relatives à la mythologie ou à l’histoire ancienne – sans compter les exemples de discours de toutes sortes qu’inclut le genre.

Si le théâtre, compris dans ses dimensions littéraire et spectaculaire à la fois, a été, comme on le sait, utilisé notamment par les jésuites à des fins pédagogiques6, il convient, pour l’époque actuelle, de s’interroger sur la nature et les méthodes qui président aux lectures scolaires. Par exemple, quel traitement les manuels réservent-ils aux textes de théâtre, ou quels sont les critères qui dictent le choix des extraits de pièces proposés aux élèves ?

Ces questions nous ramènent au sens étymologique du mot lecture, issu du latin lectio, « action de ramasser, de recueillir », qui fait du lecteur un sujet actif, participant à l’élaboration du sens véhiculé par l’œuvre (à rapprocher de théories comme celle d’U. Eco dans L’Œuvre ouverte). Une réflexion sur les anthologies ou les recueils de morceaux choisis serait ici opportune, en résonance avec les représentations que construit l’historiographie du théâtre français des seizième et dix-septième siècles.

Les nuances qui s’attachent au verbe legere (« recueillir par les oreilles ; recueillir par les yeux ; lire à haute voix »), et que relaient en partie les dictionnaires français (« Prononcer à haute voix le contenu en quelque Livre ou Écrit qu’on a devant les yeux », dit par exemple Furetière), précisent enfin les conditions dans lesquelles se fait alorsla lecture du théâtre. L’œuvre dramatique se donne à voir, sur la page imprimée, autant qu’elle se donne à entendre, que le lecteur soit seul ou intégré à un groupe et que sa lecture soit silencieuse ou audible. Seront donc examinés les pratiques de lecture et le contexte social dans lequel elles s’inscrivent respectivement ainsi que les effets spécifiques qu’elles sont susceptibles de produire. Les rimes pour l’œil, des figures de style telles que le chiasme, la paronomase ou l’anagramme sont ainsi plus sinon seulement perceptibles de la sorte. La poéticité du texte théâtral l’est également, même si des metteurs en scène7 font le choix de la sobriété pour se tenir au plus près de la lettre. Une étude des rapports entre poésie lyrique et poésie dramatique ou du lyrisme dans le corpus tel qu’il a été défini serait donc appréciable.

Toujours en lien avec les acceptions précédentes, et dans une optique non-exclusivement historique, il est des types de lecture qui, plus que d’autres, mériteraient l’attention : lectures mises en espace, lectures à la table, lectures radiophoniques, pour ce qui est des pratiques actuelles ou récentes ; lectures publiques, dont le salon mondain, au dix-septième siècle, est le cadre de prédilection, ou encore lectures à voix haute, dans un contexte scolaire ou privé. Sont aussi à prendre en considération les témoignages qui nous sont parvenus à cet égard, comme celui de Mme de Sévigné, le plus célèbre d’entre eux.

Si le dix-septième siècle, du point de vue de l’histoire du théâtre, est parfois compris comme l’âge du spectateur et de l’acteur, avec l’établissement de troupes professionnelles et l’institutionnalisation de l’art dramatique (la constitution du groupe des « Cinq Auteurs », patronné par Richelieu ou, plus tard, la politique conduite par Louis XIV en faveur du développement du théâtre), le seizième quant à lui serait-il davantage orienté vers le lecteur ? Un tel schématisme ne saurait à coup sûr rendre compte de la complexité des évolutions qui se font jour, comme l’attestent le soin apporté aux éditions de théâtre durant la seconde période ainsi que le rôle dévolu aux paratextes en tous genres, destinés au « lecteur » en général (avertissement, préface, Argument, notes marginales, table des matières) ou à un lecteur singulier (épître dédicatoire). La question se pose dès lors de savoir de quel poids ces derniers pèsent dans le processus de lecture – simple déchiffrement ou travail exégétique – et pour chacun des destinataires désigné ou pressenti.

Individuelle ou collective, passée ou présente, la lecture (littéraire) du théâtre couvre donc un large éventail de situations, que nous nous proposons d’observer et de croiser, afin d’en dévoiler les mécanismes et les enjeux.

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Les propositions de communication sont à adresser avant le 15 janvier 2020 à

Sandrine Berrégard : berregard@unistra.fr