L’entretien du ciel et de de la terre. Anges et poésie du Moyen-Âge à nos jours (Nancy)

Nancy, 8-9 avril 2020

Colloque organisé par le laboratoire Littératures, Imaginaire, Sociétés

(Université de Lorraine, LIS, EA 7305)

Organisation : Alain Génetiot et Camille Venner.

 

Ce colloque se propose d’étudier la figure de l’ange dans la poésie française du Moyen-Âge à nos jours. Dans les Écritures, les anges sont des messagers, souvent anonymes, parfois singularisés, qui assument trois fonctions principales : former la Cour de Dieu, être les ambassadeurs de Dieu auprès des Hommes, collaborer à la Providence divine. Les auteurs mystiques les contemplent comme des miroirs de la perfection divine. Le culte des anges émerge progressivement : au XIIᵉ siècle Saint Bernard les présente comme de véritables confidents ; au XVIIᵉ siècle se développe une dévotion aux anges gardiens, grâce à l’impulsion des Jésuites et de Saint François de Sales. Ultérieurement, celle-ci demeure l’une des grandes dévotions de la piété catholique. Dans le domaine de la littérature, l’ange n’est pas une figure parmi d’autres. Si la pertinence du mythe d’Orphée pour penser le lyrisme n’est plus à démontrer, il convient à présent d’envisager l’intérêt d’une étude de la figure angélique, pendant spirituel et religieux, pour favoriser une réflexion sur la poésie. Dès la Bible les anges sont en effet des musiciens au bruit assourdissant ; ils sont d’emblée associés au langage artistique, et peuvent devenir des figures du poète lyrique. Un rapide parcours des œuvres poétiques du Moyen-Âge à nos jours laisse deviner l’importance des anges, comme sujet et source d’inspiration des poètes, que l’on songe au Parnasse Séraphique de Martial de Brives, à l’Ange heurtebise de Jean Cocteau, à La Chute d’un Ange d’Alphonse de Lamartine ou aux « séraphins en pleurs / Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs / Vaporeuses » qui peuplent l’ « Apparition » de Stéphane Mallarmé.

L’enjeu de ce colloque est d’interroger la pertinence du motif angélique pour explorer l’essence de la poésie et ses pouvoirs. L’ange est une figure privilégiée de l’inspiration poétique et de la lyre chrétienne, ou de toute autre forme de spiritualité, même atténuée, en des temps plus modernes. Dans les Écritures puis dans la liturgie, il entonne des cantiques, il est la voix de nombreuses prières. L’ange assume une fonction de médiation. Il quitte l’intimité de Dieu et sa contemplation parfaite ; l’art, et plus particulièrement la poésie, célèbre cette louange de Dieu par les anges. Ces derniers aspirent les chants des hommes vers Dieu et transcrivent pour Dieu l’activité des Hommes en écriture. Les communications devront envisager cet espace de parole intermédiaire, entre ciel et terre, que recrée à son tour la poésie au moyen de la figure angélique. Comment cette médiation, figurée notamment dans la Bible par l’échelle de Jacob, est-elle actualisée en poésie ? Les relations de la poésie et de la figure angélique constitueraient alors un lieu révélateur de la relation que le poète entretient avec son propre langage, et avec ce qui excède son langage humain, tout en l’attirant. Comment les poètes exploitent-ils l’ange, figure de médiation entre la langue et le monde des Hommes, et la langue et le monde de Dieu ? Si d’un siècle à l’autre, la poésie semble être un lieu privilégié pour l’épiphanie des anges, il conviendra de délimiter les modalités et les significations de ces apparitions ; quelle périodisation, notamment, des rapports entretenus entre poésie et parole angélique, peut être proposée ?

Ce colloque se limitera à la poésie en langue française du Moyen-Âge à nos jours, et étudiera uniquement l’ange dans son emploi premier, et non pas métaphorique (l’ange pouvant référer par exemple à la femme aimée ou à l’enfant innocent) ; les études se restreindront aux bons anges, excluant les démons et autres créatures maléfiques, révoltées contre Dieu, sans négliger toutefois l’ambivalence de certaines figures angéliques.

Hans MEMLING, "Les anges musiciens" (panneau gauche), (1480), Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Antwerp (Source : WGA)

Hans MEMLING, "Les anges musiciens" (panneau gauche), (1480), Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Antwerp (Source : WGA)

Les communications pourront aborder les axes suivants :

1/ Ange et inspiration poétique :

La parole séraphique est inspirée, et souffle plus qu’elle ne profère. En tant que médiateur, l’ange transmet le message de Dieu aux Hommes et donc au poète. Que nous dit le recours à la figure angélique au sujet de l’inspiration poétique ? Les cas d’assimilation de l’ange à la muse, notamment, pourront être envisagés. Les scènes d’Annonciation également, parce qu’elles associent l’esprit et la chair (Marie devenant mère du Christ, le Fils de Dieu incarné en l’homme), deviennent des métaphores de la création artistique. Pourra être envisagée une étude des poèmes qui utilisent ce moment où le Verbe se fait chair, pour figurer le processus génésique, au cours duquel la pensée du poète s’exprime enfin par des mots.

2/ Ange et dévotion :

Les anges sont les modèles de la parole sacerdotale pour le poète chrétien qui entend à son tour édifier le lecteur ; mais ils sont aussi le support d’une grande dévotion dans la France chrétienne. Comment les poètes religieux, notamment à l’âge classique, s’y prennent-ils pour fortifier la foi des fidèles, en leur proposant le modèle angélique ? Parmi la Cour de Dieu, quels anges sont particulièrement exploités, à des fins d’édification ? L’évolution de la figure angélique en poésie est-elle révélatrice des valeurs et des préoccupations des poètes ? L’ange est-il une figure sécularisée, reflet de l’évolution de la spiritualité, du Moyen-Âge à nos jours ? Qu’advient-il notamment des anges, depuis la « mort de Dieu » ? L’ange, messager de Dieu, est aussi une figure eschatologique ; il témoigne des fins de l’homme, de son jugement (et de sa possible résurrection). Comment les poètes l’utilisent-ils pour réfléchir à la condition humaine ?

3/ Ange et connaissance :

L’ange pose la question mystique de l’indicible et de l’inconnaissable. Il assume une fonction de dévoilement, de révélation. Comment s’opère cette transmission en poésie ? L’ange apporte-t-il toujours une révélation théologique, ou donne-t-il simplement accès, pour un temps éphémère, à l’éternel, un absolu ? Et comment le poète, qui n’est pas un ange, accède-t-il à ce savoir angélique, que l’on peut concevoir, à l’époque moderne notamment, comme tout ce qui dépasse le poète ? Comment le poète peut-il transcrire en mots la connaissance angélique, connaissance assimilée parfois, comme chez Paul Claudel, dans Le Poëte et la Bible, à une « mélodie » et non à un langage rationnel et articulé ?

4/ Le parler angélique :

Comment figurer la voix des anges au moyen du langage poétique ? Les anges transcrivent pour Dieu l’activité des Hommes en écriture. Le poète superpose-t-il sa voix à celle des anges ou rend-il sensible l’écart qui demeure entre les deux ? Le poète peut notamment suivre le modèle d’un style doux, angélique, marqué par une mélodie harmonieuse. La parole de l’ange est plus légère que celle des Hommes, comme l’a rappelé Bossuet dans le Sermon pour la fête des saints anges gardiens ; elle traduit l’idéal d’élévation des poètes. Dans les panégyriques de la Création, notamment dans les paraphrases du Psaume CXLVIII (« Benedicite angeli »), les poètes chrétiens louent par la poésie le chant des anges pour célébrer en réalité leur propre capacité à louer Dieu. Il conviendra d’envisager les poèmes qui donnent la parole aux anges, directement, pour créer l’illusion d’atteindre cette langue idéale, entre terre et ciel, « où l’extase n’a plus de mouvement à faire » (V. Hugo, Dieu). Le parler angélique est en effet associé à l’extase ; l’œuvre de nombreux poètes spirituels repose sur une théorie vocale de l’extase et du soupir, notamment Le Parnasse séraphique de Martial de Brives. L’ange enfin est associé au genre du cantique et à la douceur rhétorique : la figure angélique éclaire-t-elle une poétique des genres lyriques et une théorisation des styles ?

5/ Ange et ineffable :

Saisir l’ange au moyen des mots est un défi voire une gageure pour le poète. Fugitive, à la fois visible et invisible, créature de Dieu qui paraît à peine créée, échappant aux contraintes et aux pesanteurs de la chair, de la matière, comment la figure angélique peut-elle être écrite ? L’ange renvoie le poète à l’indicible, à l’absolu. Quels mots les poètes utilisent-ils pour rendre sensibles les anges et leur discours, au moyen du langage humain ? Comment le langage poétique, dans ses spécificités, peut-il figurer l’aspect évanescent des anges ? Par ailleurs, l’ange est un messager qui dit peu (notamment lors de l’Annonciation), qui apparaît pour un temps puis disparaît rapidement (tel Raphaël après avoir guidé Tobie), qui pousse un cri muet (lors de la Passion). Le poème viendra seulement dire l’existence de ce discours à peine esquissé. Cette tension entre le silence de la parole angélique et la voix du poème pourra également être étudiée.

6/ La relation entre l’ange et le poète :

Quel lien unit le poète à l’ange ? De nombreux poètes, notamment à partir du XIXᵉ siècle, atténuent la distance qui les sépare de l’ange, pour faire de ce dernier une figure spéculaire. Stéphane Mallarmé, dans « Les Fenêtres », se « mire et [se] voi[t] ange ». L’ange « heurtebise » de Jean Cocteau fait l’objet d’un réinvestissement narcissique. Les motifs des ailes, de la plume, favorisent cette assimilation de la création et de l’ange. Sans toujours rechercher une fusion, le poète voit dans l’ange un idéal à approcher ; l’épisode de la lutte de Jacob avec l’ange est alors interprété comme une lutte du poète pour échapper à la finitude, accéder à une écriture poétique qui se rêve paradis du langage. L’ange a en effet conservé une image originelle du langage humain, avant dégradation, que le poète voudrait retrouver, comme Leconte de Lisle dans « Nox », qui enjoint les « paroles surhumaines » à monter au Ciel pour trouver la voie vers « un chemin éternel ».

7/ L’ange, une figure malléable :

Les poètes restent-ils tributaires des Écritures, quand ils traitent la figure angélique, ou prennent-ils des libertés ? Peut-on périodiser les diverses formes d’échos poétiques de la Bible, en ce qui concerne le motif angélique ? Aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles notamment, siècles des réécritures bibliques, quels sont les passages bibliques centrés sur les anges, qui connaissent un traitement important en poésie (Annonciation, Passion du Christ, la lutte de Jacob contre l’Ange, L’Apocalypse…) ? Et plus particulièrement, comment les épopées chrétiennes en vers font-elles des anges les bras droits de Dieu ? Comment, au contraire, l’ange s’intègre-t-il dans un univers imaginaire plus singulier et personnel, quand l’empreinte biblique est atténuée voire peu sensible ? On pourra envisager les cas de mise en relation de l’ange avec d’autres figures, avec lesquelles il tend parfois à se confondre, comme Hermès, Narcisse, Philomèle ou Icare. Enfin, certaines métaphores comme celle du « chat séraphique », employée par Baudelaire pour caractériser sa propre voix intérieure, nous invitent à nous demander comment, en poésie, se métamorphose la figure angélique.

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Organisation : Alain Génetiot et Camille Venner.

Les propositions de communication (assorties d’un titre et accompagnées d’une brève présentation bio-bibliographique) sont à adresser avant le 15 octobre 2019 à

Alain Génetiot (alain.genetiot@univ-lorraine.fr) ou à Camille Venner (camille.collet-fenetrier@univ-lorraine.fr).

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Comité scientifique :

Élisabeth Pinto-Mathieu (Université d’Angers)

Véronique Ferrer (Université de Paris-Nanterre)

Camille Venner (Université de Lorraine)

Alain Génetiot (Université de Lorraine)

Catriona Seth (Université d’Oxford)

Jean-Nicolas Illouz (Université Paris VIII)

Aude Préta de Beaufort (Université de Lorraine)