« Les Parleuses » : le poé(li)tique de la prise de parole des femmes
En octobre aura lieu à Paris la journée d’étude inaugurale du groupe de recherche pluridisciplinaire « Les Parleuses ». Le groupe se crée sur la volonté de rapprocher de jeunes chercheur·euse·s ayant le désir de travailler ensemble sur l’histoire des femmes et de leurs créations. Cette journée sera son engagement principe, une première mise en voixdu projet.
Nous nous intéresserons à ce processus même que nous comptons mettre en œuvre : la « prise de parole ». Comment la parole se déclenche-t-elle chez les femmes, comment prend-elle corps dans leurs œuvres ? Qu’elle soit orale, écrite, picturale, sculptée, photographique, cinématographique, chorégraphique… la parole est extériorisation, mise en forme. Qu’est-ce qui, chez les femmes, la contraint ou l’empêche ? Inversement, qu’est-ce qui la permet, l’autorise ? Comment les diverses prises de paroles des femmes s’articulent entre elles – y a-t-il une histoire des prises de parole des femmes ? Ces questions de fond devront elles-mêmes être interrogées épistémologiquement : il faudra se demander si, ainsi formulées, elles ont vraiment du sens – « les femmes » existent-elles ? Interroger « les femmes » est-il une avancée pour la recherche, pour le féminisme, ou une régression ? Il faudra se demander comment nous choisissons de construire cette catégorie de manière à en faire un objet de connaissance pertinent.
Si le moment de la prise de parole nous intéresse, c’est aussi qu’il fait rupture : c’est la disparition soudaine du silence. En cela, la prise de parole des femmes peut être foncièrement politique, à cause de la longue histoire de relégation des femmes à l’arrière-plan de l’espace public – c’est la position que tiennent bon nombre d’écrivaines et critiques féministes. Il faut alors s’interroger sur la manière dont la politique se forme : comment se lie-t-elle à la poétique, au processus de création ? Comment s’harmonise-t-elle, si elle le peut, avec l’esthétique ? Comment les artistes engagent-elles politiquement leur parole ? Il faudra interroger les modalités et tonalités des prises de paroles féminines : dans quels contextes ? sous quelles formes ? quels tra/trans/interdire(s) pour quels horizons ? Quelle réception de la prise de parole féminine, quels imaginaires peuvent lui être associés ? Dans quelle mesure cette prise de parole se confronte-t-elle à des stéréotypes, comme le cantonnement à certains sujets ou certains genres, épistolaires par exemple ?
Enfin, il faut prendre en compte les justes critiques qui sont soulevées à propos des études féminines : dégager un objet d’étude féminin pour contrebalancer l’oubli trop fréquent des femmes dans la recherche peut être une stratégie d’étude efficace, mais l’on doit se garder de faire des études féminines un cadre rigide et réducteur – les œuvres de femmes ne sont pas seulement des œuvres « de femmes ». La prise de parole des femmes n’est donc pas toujours, fatalement, politique – comme on admet que celle des hommes peut ne pas l’être, voire ne doit pas l’être si elle vise à une grande reconnaissance artistique. Comment parler, alors, de ces œuvres ?
À travers l’histoire, on constate souvent que les prises de parole les plus massives et les plus politiques des femmes sont aussi liées à un grand foisonnement des formes artistiques – que l’on pense par exemple à l’explosion des revues artisanales lors de l’avènement du Mouvement des Femmes en Occident, juxtaposant textes, poèmes, photos, crayonnés sur toutes leurs pages. Des études portant sur différentes formes de communication et comparant leurs dynamiques et portées spécifiques seront particulièrement appréciées. Il faudra aussi réfléchir à la complexité des rapports qui peuvent s’établir entre « politique » et « parole féminine » : réseaux sociaux et libérations de la parole, effets de censure, multiplication des modes de militantisme…
Des contributions portant sur de grandes figures féminines, historiques ou fictives, seront bienvenues. Les femmes célèbres de l’histoire sont à l’origine de grands modèles d’émancipation féminine, à valeur parfois quasi légendaire ; certaines femmes, au contraire, sont injustement méconnues et la journée d’étude pourra être l’occasion de leur faire reprendre parole. La fictionnalisation de la prise de parole des femmes, dans l’utopie ou le mythe par exemple, est une autre forme de « poé(li)tique » qu’il pourrait être aussi particulièrement intéressant d’étudier à travers des études de cas (Amazones, Kahina, Devadâsî…).
Pour creuser ces questions, il sera utile de croiser différents domaines de connaissance : cette journée d’étude devrait pouvoir permettre à des jeunes chercheur·euse·s de tous domaines de se rencontrer, et de multiplier ensemble les questions soulevées par ce rendez-vous.
Modalités de participation
> Contact : lesparleuses.carnet@gmail.com
> Date limite de proposition : 1er juillet 2019
> Notification aux participant·es : 1er août 2019
> Environ 300 mots
Comité d’organisation
Khadija Benfarah (Sorbonne Université)
Nessrine Naccach (Sorbonne Nouvelle)
Aurore Turbiau (Sorbonne Université)
Luce Roudier (Paris Nanterre)
Palmyre de la Touanne (Sorbonne Université)
Sélection et relecture : membres des Parleuses
Bibliographie indicative
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