Pathelin, Cléopâtre, Arlequin. Le théâtre dans la France de la Renaissance. Catalogue

dossier_de_presse_expo_theatre_2018
Barbier Muriel et Halévy Olivier (dir.), Pathelin, Cléopâtre, Arlequin. Le théâtre dans la France de la Renaissance. Gourcu Gradenigo, 192p, 29 €

LES AUTEURS :

Éditeur : Gourcu Gradenigo

Sous la direction de Muriel Barbier et Olivier Halévy Assistés de Vincent Rousseau

Muriel Barbier, conservateur du patrimoine au musée national de la Renaissance
Marianne Grivel, professeur d’histoire de l’estampe et de la photographie, Centre André Chastel – Université Paris-Sorbonne
Olivier Halévy, maître de conférences en langue et littérature française, Université Sorbonne Nouvelle- Paris 3
Guy-Michel Leproux, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, sections des sciences historiques et philologiques
Vincent Rousseau, chargé d’études documentaires au musée national de la Renaissance
Laetitia Sauwala, maître de conférences, Université des Antilles, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle Darwin Smith, directeur de recherches au CNRS, Université Paris 1-Panthéon Sorbonne
Caroline Vrand, conservateur du patrimoine au département des estampes de la Bibliothèque nationale de France

 

SOMMAIRE :

Avant-propos – Thierry Crépin-Leblond

Introduction – Muriel Barbier et Olivier Halévy

1. L’apogée des formes médiévales

1.1. La tradition médiévale – Olivier Halévy
1.2. Les mystères monumentaux dans les provinces – Darwin Smith
1.3. La confrérie de la Passion et le théâtre populaire à Paris au XVIe siècle – Guy-Michel Leproux 1.4. Le jeu « par personnages » : farce, moralité et sottie – Olivier Halévy

Notices correspondantes

2. Un théâtre humaniste

2.1. Un théâtre rêvé : entre philologie et imagination – Olivier Halévy 2.2. L’invention d’un théâtre à l’antique français – Olivier Halévy
2.3. Un nouveau langage théâtral – Olivier Halévy

Notices correspondantes

3. Un théâtre de Cour ? La construction d’un nouveau symbolisme collectif

3.1. Les intermèdes, splendeurs d’un théâtre d’intérieur – Muriel Barbier
3.2. Les divertissements, un théâtre en miroir – Muriel Barbier
3.3. Les entrées solennelles, un théâtre au service du pouvoir – Muriel Barbier

Notices correspondantes

4. L’émergence de la commedia dell’arte

4.1. Les comédiens italiens en France : le triomphe de la commedia all’improviso (1570-1610) – Olivier Halévy
4.2. Paris, 1585. La naissance d’Arlequin – Olivier Halévy
4.3. Le masque et la pointe. Le théâtre vu par les graveurs en France au XVIe siècle – Marianne Grivel 4.4. Des tableaux de Pantalons – Muriel Barbier et Guy-Michel Leproux

Notices correspondantes

EXTRAITS DU CATALOGUE

LES DIVERTISSEMENTS, UN THÉÂTRE EN MIROIR

Muriel Barbier

Selon Blaise Pascal « le divertissement nous amuse et nous fait arriver insensiblement à la mort »1. L’auteur des Pensées dé nit ainsi le divertissement comme ce qui détourne l’homme des problèmes essentiels qui devraient le préoccuper et, par extension, lui procure du plaisir. Les cérémonies et les divertissements intégrés au quotidien de la cour de France à la Renaissance ont-ils uniquement pour but le plaisir ? De nombreux ouvrages ont déjà montré la place des divertissements de cour dans l’équilibre du pouvoir royal, mais la place du théâtre au sens de représentation dramatique est moins évidente à cerner. Le jeu occupe une place importante à la cour de France au XVIe siècle. On y présente des farces, comédies italiennes et spectacles à l’antique – même si Catherine de Médicis refuse la représentation

de tragédies après l’expérience malheureuse de la Sophonisba – mais aussi d’autres pratiques de jeu. De spectaculaires tableaux vivants apparaissent comme autant d’intermèdes et des divertissements sont joués par les membres de la Cour eux-mêmes prenant des formes « comiques », c’est-à-dire « jouées ».

Les mascarades

Le schéma de ces fêtes est immuable : à la cérémonie – sacrée ou non – fait suite un festin, suivi d’un bal avec des mascarades ou d’autres divertissements et parfois des joutes2. Au sein de cette structure toujours plus codi ée, la théâtralité n’est pas due uniquement au spectacle composé de musique,
de danse, de riches décors éphémères, mais est surtout le fait des courtisans et de la famille royale, comédiens d’un soir.

« Dans cette cour, on ne s’occupe qu’à se donner du bon temps tout le jour avec des joutes, des fêtes avec de très belles mascarades toujours di érentes […] » écrit l’ambassadeur italien G.B. da Gambara au sujet de la cour de France en 15413. Nombreux sont les chroniqueurs à relever la splendeur de ces mascarades. En temps normal, plusieurs fois par semaine, le bal a lieu après le souper. La danse est une activité très goûtée des courtisans français dès le règne de Louis XII, mode qui ne fait que croître jusque sous Henri III. Le traité de Thoinot Arbeau (cat. 91) attestent cet engouement. Lors de fêtes telles que les mariages, les bals atteignent un éclat hors pair (cat. 106). Outre la musique et la danse, un rôle allégorique et éloquent est attribué aux participants au moment de la mascarade. Ce divertissement éphémère consiste à dé ler déguisé et masqué accompagné par un thème musical et des pas de danse. Ainsi le 23 janvier 1539, dans la grande salle Charles V du Louvre, à l’occasion des noces du duc de Nevers avec Mademoiselle de Vendôme, le bal laisse progressivement la place à la mascarade, chacun s’éclipsant et revenant costumé. Satyres et nymphes se succèdent tandis que François Ier qui représente le dieu Mars tient « plutôt du divin que de l’humain » tout paré de broderies, pierres précieuses et perles4. Pour les thèmes, les organisateurs de fêtes s’inspirent de la nature, la mythologie et l’histoire antique a n de glori er la dynastie des Valois. Ainsi Pierre de Ronsard, poète o ciel de la cour de Charles IX, ordonnateur des
fêtes royales, puise dans la mythologie pour faire valoir la grandeur de la famille royale5. En fonction des événements, les mascarades ne sont pas dénuées d’humour comme lors du carnaval de 1542, où le Roi et le cardinal de Lorraine apparaissent successivement en ours, en centaure et en crevette. Les costumes des participants sont une composante essentielle de la fête ainsi colorée d’éto es chamarrées (cat. 93 à 97) car « dans ces mascarades, il ne se voit qu’ors et soies »6. Plusieurs dessins de costumes et gravures conservent le souvenir de la fantaisie de ces créations, corroborés par les comptes (cat. 98 à 102)7. Prises sur les comptes de l’argenterie, les dépenses faites pour les mascarades sont considérables tant pour la conception des « habillements et masques » par des artistes tels que Primatice que pour les fournitures et confections (tailleurs, brodeurs)8.

Ballets de cour « comiques »

Le ballet de cour associe poésie, musique, danse et mise en scène9. Il est dansé par les membres de la famille royale, les courtisans et quelques danseurs professionnels qui sont tour à tour mis en valeur. Le Ballet dit des Polonais a lieu le 19 août 1573 lors de la visite des ambassadeurs polonais venus annoncer à Charles IX l’élection de son frère Henri d’Anjou (futur Henri III) roi de Pologne. Après l’entrée des allégories de la France, la Paix et la Prospérité, Silène et quatre satyres poussent devant les spectateurs un rocher sur lequel seize dames d’honneur de Catherine de Médicis, représentant les seize provinces de France, récitent des vers. Au son d’une trentaine de violons jouant la partition de Roland de Lassus, ces dames descendent du rocher pour se mettre à danser selon la chorégraphie établie par Balthazar de Beaujoyeulx évoquant l’harmonie des sphères10. Les ambassadeurs ne parlant pas français, un livret contenant les explications nécessaires est rédigé en latin par Jean Dorat (cat. 92). Un des ballets les plus spectaculaires donné en France est le Ballet comique de la Reine. Conçu pour le mariage de Marguerite de Vaudémont avec le duc de Joyeuse en 1581, il joue sur la pluralité des lieux d’action. Trois décors sont répartis en divers points de la salle (cat. 103 et 104). Il s’agit d’une psychomachie, dont l’intrigue est construite autour de l’antique magicienne Circé qui a jeté un enchantement malé que sur des chevaliers.

Le ballet se termine par l’assaut général de la demeure de Circé sous la forme d’un cortège avec trois entrées de chars qui sont autant de décors mobiles : fontaine des Naïades, bosquet des Dryades, char
de Minerve. À l’aide d’une machinerie, Mercure et Jupiter descendent successivement du plafond sur une nuée. La famille royale participe : la reine Louise et sa sœur Marguerite dansent avec les dames de la Cour. Les parties récitées, dialoguées et mimées sont interprétées par des courtisans tandis que les rôles chantés et la musique sont con és à des artistes au service du roi. Le Roi demeure immobile mais est invoqué comme susceptible de faire triompher la Vertu. Tout le ballet est un vaste compliment qui lui est dédié et constitue une sorte de rituel destiné à transformer les énergies négatives incarnées par Circé en énergies positives. En 1556, La Sophonisba de Trissino traduite par Mellin Saint-Gelais et Jean-Antoine de Baïf était représentée devant la Cour au château de Blois avec les jeunes princesses royales dans les principaux rôles. Il ne s’agissait alors pas d’une fête de cour à proprement parler, mais les membres de la Cour y étaient aussi les comédiens.

Le lieu de la fête

Ces pratiques prennent une telle importance que ce ne sont nalement pas des théâtres mais des salles de bal qui sont bâties en France. Nombre de ces divertissements sont montés dans des salles éphémères. Plusieurs fêtes ont lieu en extérieur ce qu’apprécie grandement Catherine de Médicis. Les grandes festivités de Fontainebleau en 1564 et de Bayonne en 1565 dont les dessins d’Antoine Caron et la tenture des Fêtes des Valois nous ont conservé le souvenir l’attestent11.

De même le Ballet des provinces de France présenté aux ambassadeurs polonais en 1573 a lieu « sous un pavillon d’excessive grandeur » dressé dans le jardin des Tuileries12. Il comprend un tribunal en hémicycle et des tribunes latérales. Cette salle (cat. 92) ressemble beaucoup à celle du Petit Bourbon.
Dans les demeures, les grandes salles servent surtout aux festins et à la danse ; elles sont donc aussi destinées aux mascarades. Sous François Ier, bien que la « salle du bal » ait été entreprise au château de Saint-Germain-en-Laye, aucune salle dédiée spéci quement aux divertissements n’existe encore dans les résidences royales. Sous Henri II, les trois principaux châteaux du Roi sont dotés de lieux permanents pour les fêtes : Saint-Germain, Fontainebleau et le Louvre. La salle du bal de Saint-Germain située au-dessus du passage d’entrée est achevée en 1549. Mesurant 400 m2, elle est dotée d’un tribunal et d’une grande cheminée surmontée d’une tribune pour les musiciens. La salle du bal du château de Fontainebleau, d’abord conçue comme une loggia, au premier étage de la cour ovale entre cour et jardin et mesurant 350 m2, est construite entre 1546 et 1551. Son décor à fresque n’est réellement achevé qu’en 1556.13 La « grande salle du bal » du Louvre érigée entre 1551 et 1556 mesure 445 m2 et est également dotée d’un tribunal et de la célèbre tribune des Cariatides pour les musiciens (cat. 88 et 89)14. Ce tribunal conçu par Pierre Lescot et pourvu d’une sorte d’arc de triomphe qui encadre les souverains renforce la dramaturgie de la fête en donnant l’impression qu’ils sont placés devant les participants comme sur une scène de théâtre. Cette mise en scène est déjà présente au château de Madrid15.

Quant au Ballet comique de la reine, il n’est pas donné dans un palais royal, mais dans la salle de l’hôtel du Petit Bourbon (cat. 104) probablement élevée sous le règne de Charles IX avant 1572. Cette salle immense (1 000 m2), très longue et haute, équipée de deux niveaux de tribunes, re ète la transformation progressive de la salle de bal en salle de spectacle liée à l’accroissement des représentations théâtrales et des ballets dans les fêtes de cour.

Les courtisans participent à l’éblouissement du spectacle donné par la splendeur des costumes et par la virtuosité de leur interprétation dansée et déclamée. Les divertissements sont autant de miroirs qui renvoient leur image, celle d’une cour prestigieuse et puissante, en dépit de la réalité politique du royaume16. Il s’agit aussi d’un processus réfléchi par lequel Catherine de Médicis cherche à retrouver l’harmonie en cette période troublée.