Vivre sa foi en Europe occidentale : expériences variées du religieux (XVe-XVIIIe siècle)

  • Start date:
    22/02/2024, 00:00
  • Place:
    Nancy - format hybride

Vivre sa foi en Europe occidentale : expériences variées du religieux (XVe-XVIIIe siècle)

Lucas CRANACH l’Ancien, « Martin Luther en moine augustin avec bonnet doctoral », (vers 1520), collection privée (source : Web Gallery of Arts).

Journée d’études prévue pour le 22 février 2024 – Nancy

Organisée par Gaëtan Dechoux (doctorant CRULH) et Raphaël Tourtet (doctorant CRULH)

Cette journée d’étude destinée aux jeunes chercheurs en histoire religieuse a pour but de favoriser la comparaison autour du vécu individuel ou collectif de la foi dans les différentes religions présentes en Europe occidentale à la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne. Il s’agira, dans ce sens, d’initier un dialogue entre des historiographies religieuses parfois cloisonnées afin de mieux comprendre les expériences plurielles du religieux en fonction des acteurs et des contextes (sociaux, monoconfessionnels ou pluriconfessionnels, etc.).

Argumentaire

L’ouvrage récent de Jérémie Foa, Tous ceux qui tombent : visages du massacre de la Saint-Barthélemy[1], rappelle le caractère heuristique des approches historiques centrées sur l’expérience singulière des individus du commun, masse discrète de l’histoire. Depuis les années 1970, les études microhistoriques et le retour au « local » ont participé aux transformations de l’histoire sociale en proposant de nouveaux regards sur les processus sociaux et sur la place que les différents acteurs, même les plus « petits », y occupent[2]. Les jeux d’échelle entre vies particulières et processus plus généraux ont souligné, au sein de cette démarche, la capacité et le rôle inaliénable que chaque individu a au sein de la société, en s’intégrant ou en dépassant ses structures[3].

L’histoire du religieux s’est nourrie de cette approche pour dépasser l’étude des institutions ecclésiastiques au profit de celle des répercussions du religieux sur l’ensemble des domaines de la vie[4]. De nombreuses études se sont centrées sur l’attitude et le vécu des populations par rapport à la religion, puisant dans des sources variées qui dépassent généralement le cadre clos du religieux. Qu’il s’agisse de la foi intérieure ou de la piété populaire – individuelles et collectives –, l’accent est mis sur les populations et leurs expériences du fait religieux[5]. Les méthodes de l’anthropologie historique ont encore affiné ces dernières années l’appréhension du cadre d’exercice de la foi en se penchant sur les cultures matérielles, les pratiques et les gestes des fidèles[6]. Ces préoccupations ont particulièrement été mises en avant lors de colloques et de publications portant sur l’expérience de l’altérité confessionnelle, favorisant une histoire religieuse du social[7].

Nous voulons organiser une journée d’étude qui poursuivrait ces questionnements sur l’expérience et le vécu religieux de la fin du Moyen Âge (XVe siècle) au XVIIIe siècle. Cette chronologie étendue permettra de mettre en avant les dynamiques, les évolutions et les permanences du vécu religieux au sein des populations sur un temps long. Si de nombreuses recherches ont porté sur les expériences du religieux au sein des espaces pluriconfessionnels en raison des sources abondantes produites par les confrontations quotidiennes[8], nous voulons également inclure les espaces monoconfessionnels. L’espace d’étude portera sur l’Europe occidentale entendue comme les territoires s’étendant du Saint-Empire à l’Angleterre, et des Pays-Bas à l’Europe méditerranéenne. Ces bornes géographiques laissent ainsi la porte ouverte à de possibles comparaisons entre les territoires mais aussi entre les différentes religions : catholicisme, protestantismes, judaïsme, etc. Il permettra également l’appréhension de régions qui ont pu alterner entre diverses souverainetés et/ou qui se trouvent en zone frontière (politique et religieuse).

La foi n’est pas vécue de manière unique et uniforme. Elle évolue avec le temps, mais aussi selon les individus. En terre pluriconfessionnelle, l’autre est en partie (mais pas seulement) défini par son identité confessionnelle[9]. En terre monoconfessionnelle, les processus de différenciations sont moins présents car tout le monde partage la même religion. Cependant l’identité confessionnelle ne disparait pas totalement de la définition de soi des individus. Elle se construit dans le lien entre les fidèles et les Églises. Les autorités religieuses tentent par exemple d’imposer des pratiques, des croyances, des attitudes, des rituels, des arts… normés et cadrés par elles. Mais ces normes sont appropriées ou rejetées, acceptées partiellement ou intégralement, modulant pour chacun le vécu religieux. La rencontre entre les confessions autant que l’articulation d’expériences multiples du religieux peuvent conduire à des synthèses parfois surprenantes, formes de syncrétisme[10]. Dans les espaces monoconfessionnels comme dans les espaces pluriconfessionnels, la religion peut donc être subie. Avec l’avènement du siècle des Lumières et de la raison, et plus encore avec l’anticléricalisme (voire l’antireligiosité) des siècles qui suivent, le rejet des normes religieuses voulues par les autorités est d’autant plus visible. Cela ne doit, bien évidemment, pas cacher le maintien de la foi et d’un certain nombre de formes de religiosité dans de nombreux espaces, ou encore l’évolution, ou l’adaptation, de la manière de vivre cette foi.

Cette journée d’étude propose de réfléchir et de discuter autour de trois axes :

  • Quelles sources l’historien peut-il utiliser pour appréhender l’expérience religieuse individuelle ou collective ? Les actes des consistoires ou ceux émanant de la justice ecclésiastique constituent des sources bien connues pour appréhender le vécu de la foi. Elles permettent de comprendre les normes véhiculées par les autorités religieuses et leurs transgressions par certains habitants. Toutefois, l’utilisation d’autres sources telles que les actes notariés ou les ego-documents renouvèle notre vision des expériences de la foi au sein des communautés villageoises et urbaines. Face à la multiplicité ou parfois à l’absence des sources, quelles méthodes l’historien peut-il également employer pour recomposer ce vécu ?
  • L’appréhension fine des contextes invitera à réfléchir aux continuités et discontinuités de l’expérience religieuse. La foi n’est pas uniforme dans la vie des fidèles mais elle fluctue en fonction des évènements intérieurs et extérieurs que connait l’individu ou le groupe. L’âge, les crises, les pertes personnelles, les réussites sont autant de variables qui modulent les pratiques et le vécu de la foi. L’insertion des hommes et des femmes dans des contextes sociaux en constante transformation participe encore de ces changements. La position sociale ou l’insertion dans des communautés joue un rôle essentiel dans la pluralité des formes religieuses, autant que le rapport à l’Autre construit et reconstruit dans l’interaction les identités confessionnelles.
  • La foi se vit enfin à des échelles spatiales variées, propices aux comparaisons. Les espaces sont, d’une part, mobilisés et appropriés dans le cadre des dévotions, qu’il s’agisse de la possessio[11], du partage d’un lieu de culte[12], des pèlerinages ou encore de la piété domestique. Ils sont, d’autre part, des cadres pouvant influencer le vécu et la pratique religieuse. Les conditions d’exercice de la foi et les comportements peuvent changer entre les espaces mono- et pluriconfessionnels, entre le monde rural et urbain. Le statut de minorité et les fonctionnements diasporiques qui en découlent, à l’image des huguenots ou des juifs, questionnent encore ces différences et encouragent alors aussi des approches transnationales.

La journée d’étude se terminera par une table ronde thématique autour de la comparaison du vécu religieux en fonction des confessions présentes en Europe à la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne. Cette discussion réflexive veut encourager une approche transverse entre des historiographies religieuses parfois trop cloisonnées.

Organisation

Gaëtan Dechoux (doctorant CRULH) et Raphaël Tourtet (doctorant CRULH)

Journée d’études parrainée par M. Stefano SIMIZ

La journée d’études se tiendra en format hybride le 22 février 2024 à Nancy, de 9h à 17h. Les communications seront de 25 minutes suivies de 5 minutes d’échange avec le public.

Modalités de soumission

Pour participer, nous vous invitons à nous faire parvenir une proposition de communication n’excédant pas 3 000 signes, accompagnée d’un CV universitaire par mail à l’adresse des organisateurs (gaetan.dechoux@univ-lorraine.fr ; raphael.tourtet@univ-lorraine.fr).

La date limite d’envoi des propositions est fixée au dimanche 12 novembre 2023.

Comité scientifique

  • Catherine GUYON (maître de conférences HDR en histoire médiévale).
  • Laurent JALABERT (maître de conférences HDR en histoire moderne).
  • Stefano SIMIZ (professeur des universités en histoire moderne).

Notes

[1]Foa Jérémie, Tous ceux qui tombent: visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Paris, France, La Découverte, 2021, 349‑VIII p.

[2] Ginzburg Carlo et Aymard Monique, Le fromage et les vers: l’univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, France, Flammarion, 1980, 220 p. ; Levi Giovanni, Le pouvoir au village: histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989, 230 p. ; Revel Jacques (dir.), Jeux d’échelles: la micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard : Seuil, 1996, 243 p. ; Farge Arlette, Vies oubliées: au cœur du XVIIIe siècle, Paris, La Découverte, 2019, 297 p.

[3] Lepetit Bernard, Les formes de l’expérience: une autre histoire sociale, Paris, France, Albin Michel, impr. 1995, 1995, p. 13‑14.

[4] Ces études placent le religieux à la charnière entre histoire des mentalités, histoire culturelle et histoire sociale. Voir par exemple : Delumeau Jean (dir.), Histoire vécue du peuple chrétien, Toulouse, Privat, 1979, 2 vol., 481-481 p. ; Croq Laurence, Garrioch David, et Monash University (dir.), La religion vécue: les laïcs dans l’Europe moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 310 p. De manière générale : Greyerz Kaspar von, Religion und Kultur: Europa 1500-1800, Göttingen, Allemagne, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000, 395 p.

[5] Marandet Marie-CLaude, Le souci de l’au-delà : La pratique testamentaire dans la région toulousaine (1300-1450), Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2021, 701 p. ou encore Rideau Gaël, « Pratiques testamentaires à Orléans, 1667-1787 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2010, vol. 57‑4, no 4, p. 97‑123., voir par pour le chant : Veit Patrice, « Piété, chant et lecture : les pratiques religieuses dans l’Allemagne protestante à l’époque moderne », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1990, vol. 37, no 4, p. 624‑641. Pour les pèlerinages : Provost Georges, La fête et le sacré: pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Les Editions du Cerf, 1998, 530 p.

[6] Christin Olivier et Krumenacker Yves, Les protestants à l’époque moderne: une approche anthropologique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, 610 p. ; Friant Emmanuelle, Le catholicisme matériel: les objets de la piété privée dans la France des XVIè et XVIIè siècles, Thèse de doctorat, Université de Nancy II, France, 2009. Ou encore Cousinié Frédéric, Blanc Jan, Solfaroli Camillocci Daniela [et al.], Connecteurs divins: objets de dévotion en représentation dans l’Europe moderne (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Éditions 1:1, 2020, 303 p.

[7] Jalabert Laurent, Catholiques et protestants sur la rive gauche du Rhin: droits, confessions et coexistence religieuse de 1648 à 1789, Bruxelles ; New York, Peter Lang, 2009, 546 p. ; Léonard Julien (dir.), Prêtres et pasteurs: les clergés à l’ère des divisions confessionnelles (XVIe-XVIIe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 371 p. ; Boisson Didier et Krumenacker Yves (dir.), La coexistence confessionnelle à l’épreuve : études sur les relations entre protestants et catholiques dans la France moderne, Lyon, Université Jean Moulin – Lyon III, 2009, 261 p.

[8] François Étienne, Protestants et Catholiques en Allemagne: identités et pluralisme, Augsbourg, 1648 – 1806, Paris, Michel, 1993, 391 p. ; Duhamelle Christophe, La frontière au village: une identité catholique allemande au temps des Lumières, Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 2010, 324 p. ; Évelyne Oliel-Grausz, « Juifs, judaïsme et affrontements religieux (XVIe siècle – milieu XVIIe siècle) », dans Wolfgang Kaiser (dir.), L’Europe en conflits. Les affrontements religieux et la genèse de l’Europe moderne, Rennes, PUR, 2008, p. 363-409.

[9] KRUMENACKER, Yves, « La coexistence confessionnelle aux XVIIe-XVIIIe siècles. Quelques problèmes de méthode », in BOISSON, Didier et KRUMENACKER, Yves (dir.), op. cit., pp.107-125.

[10] KRUMENACKER, Yves, « Sainteté catholique et sainteté protestante (XVIe-XVIIe siècles) », 21e Congrès international des sciences historiques, Amsterdam, Août 2010, < halshs-00528313 >.

[11] Duhamelle Christophe, La frontière au villageop. cit.

[12] JALABERT, Laurent, « Un lieu de culte, deux confessions : le simultaneum et la définition des espaces religieux dans le duché de Deux-Ponts au XVIIIe siècle », in Christin Olivier et Krumenacker Yves, Les protestants à l’époque moderneop. cit., p.175-187 ; JALABERT, Laurent, « Le simultaneum en Lorraine orientale et Alsace bossue (1648-1789) », Annales de l’Est, 2007-1, pp. 343-363 ; Muller Claude et Vogler Bernard, Catholiques et protestants en Alsace : le simultaneum de 1802 à 1982, 1983, 270 p.