Rémi Poirier : « L’homme à l’affût : quelques enjeux de l’évocation de la chasse dans des recueils lyriques français du XVIe siècle. »
Rémi Poirier (agrégé en lettres modernes)
Il se joue dans l’évocation lyrique de la chasse à la Renaissance davantage qu’une activité où se confrontent les ingéniosités humaine et animale. Si l’homme est pourvu d’ artifices éprouvés (armes, techniques de chasse, aide des assistants, des chevaux, des animaux), l’animal est toutefois investi de projections culturelles, qui lui sont radicalement étrangères.
Dans les recueils lyriques du XVIème siècle, le chasseur est souvent présenté comme prisonnier de son humaine condition, donté du désir indontable chez Ronsard, et obéissant à une stratégie de traque. D’autre part, la proie, notamment la figure majestueuse du cerf, se déplace à l’aventure, image de la liberté insouciante, de la capacité à se mouvoir et vivre dans l’environnement hostile des forests espesses1. Entre ces deux figures se tisse un réseau de projections métaphoriques, jouant à la fois sur le registre du mythe (Actéon), de l’intertextualité (Pétrarque), de la poursuite amoureuse, et du récit haletant d’une prise. Vécue ou imaginée, la chasse est un terrain privilégié d’expression du lien entre un sujet et son objet. Cette quête s’inscrit notamment dans une conception dialogique du lyrisme : non une forme, mais une posture énonciative, la volonté de développer une poésie adressée (dédicataires, interlocuteurs, hommages aux Grands, éloges de la proie, d’un chien…), une poétique de la relation scripturale.
On se demandera notamment quels sont les ressorts de la démarche épidictique dans l’évocation lyrique de la chasse : s’agit-il de célébrer la majesté de la proie ? l’habileté de son poursuivant ? ou le geste même de la traque ?
L’approche cernera quelques poèmes éclairant la diversité des formes et enjeux symboliques de la chasse. Le corpus portera largement sur des œuvres de Ronsard (poème « La Chasse. A Jean Brinon » : Te seray-je tousjours redevable, Brinon… ; sonnets Le vingtiesme d’avril…, Franc de raison, esclave de fureur…, Comme un chevreuil… ; « Epitaphe de Courte, chienne du Roy Charles IX »). On montrera aussi chez d’autres poètes diverses allusions au cerf convoquant le mythe d’Actéon (Du Bellay, L’Olive 82 ; Du Bartas, La Sepmaine ; Sponde, Amours V, Scève, Délie dizain 131) en lien avec l’inspiration pétrarquienne afin d’en faire ressortir la richesse des traitements poétiques possibles.
Un élément topique se dégage de ces extraits : la dimension élégiaque de l’échec du chasseur. Le plus souvent bredouille, piégé ou vaincu par le retournement de la proie contre lui, le chasseur lyrique fait l’épreuve constante de déception, développant un aveu d’impuissance, d’incapacité à se mouvoir dans un environnement hostile. Alors que le traité de Charles IX dresse un panégyrique d’ingénieux outils et procédés, l’évocation poétique de la chasse est entièrement vouée à l’échec. Mais l’écriture fonctionne comme compensation. Dressant un portrait du poète en chasseur affligé, l’occasion est fournie de se mettre en scène dans le champ du pétrarquisme, d’une voix qui donne à entendre sa propre profération. Autrement dit, on pourra tenter de mesurer s’il s’agit d’une posuture de la modestie affectée, destinée à attirer la compassion du lecteur, ou d’une ruse afin de compenser l’échec cynégétique par l’avènement du poème. Deuil de la proie, salut au texte. Le poème lyrique évoquant le domaine de la chasse semble donc entrer dans un processus complexe de réhabilitation symbolique.
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1 Citations tirées de « La chasse. A Jean Brinon », de Ronsard, volume Pléiade II, p. 684-689.