Rémi Poirier « Le chiffre de l’amour – Singularité et quantité de l’état amoureux dans les Amours de 1553 »

Cette section constitue la partie 4 de 6 du numéro
LE VERGER - Bouquet IX : Les Amours de Ronsard

Rémi Poirier, professeur agrégé de Lettres Modernes

Raphaël, Etude pour les Trois Grâces, sanguine, 1518, 20.3 x 25.8 cm.  Royal Collection, Windsor.

Raphaël, Etude pour les Trois Grâces, sanguine, 1518, 20.3 x 25.8 cm. Royal Collection, Windsor.

L’horizon de ce canzoniere des Amours (1553) semble être la confrontation à l’ineffable : faute de pouvoir embrasser en un même énoncé la totalité de l’expérience amoureuse, le recueil devient l’espace d’un jeu où la quantité devient un lieu privilégié d’expression de la qualité. Face au vibrato amoureux, le poème tente de saisir un miroitement fugace. L’expérience amoureuse filtrée par les codes pétrarquistes a été abondamment commentée et imitée. Par le nombre des poèmes se donne à voir, dans un même élan, la diversité et la cohérence psychique de l’évocation lyrique de l’amour. C’est dans la catégorie de la quantité, dans l’abondance des poèmes et des images, que peut s’appréhender, se concevoir l’amour de Cassandre. La passion ailée du sujet lyrique requiert une assise sur des réalités tangibles et dénombrables. Ne pouvant être figé dans une évocation univoque, stable et exhaustive, le discours amoureux prolifère : la reconnaissance poétique semble se jouer sur la capacité à proposer d’indéfinies variations sur un thème, selon des postures, des tonalités, des thématiques différentes.

Cet article s’efforce de mettre en lumière comment les Amours s’appuient sur des références récurrentes aux nombres, à des rapports signifiants entre éléments singuliers et pluriels afin de proposer une évocation englobante de l’expérience amoureuse. Le rapport aux quantités se révèle profondément codifié et riche d’enjeux symboliques. Le sujet lyrique semble se mouvoir dans un univers étrange, une forêt de nombres où la logique devient déroutante. Un trait éclairant de la poétique des Amours paraît être le questionnement sur la quantité : l’amour est-il sans égal ? Est-il unique, indénombrable, infini ? L’écriture de la variété du canzoniere cherche-t-elle à délivrer un itinéraire unifié de l’expérience amoureuse, ou à montrer combien il échappe à un déchiffrement qui le fige ? Le recueil de Ronsard semble faire du dénombrement problématique un signe du rapport à la beauté, une preuve de l’arrachement à soi et au réel. Cette réflexion se propose de mesurer si les Amours visent à déchiffrer l’expérience amoureuse ou à en souligner la dimension vertigineuse.

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