Introduction – 9 juillet 2012
L’équipe du Verger II vous propose une petite introduction qui vous permettra d’embrasser d’un coup d’oeil les fleurs qui composent ce deuxième bouquet.
Les articles que vous pouvez d’ores et déjà lire proposent une vision kaléidoscopique de la libéralité, si bien que la notion reçoit des éclairages variés, à la fois théoriques et pratiques. La publication en ligne étant souple, nous vous présenterons « en différé » les articles qui ont musardé sur les chemins de la publication.
Au XVIe siècle, la libéralité reste, comme au Moyen Âge, une modalité capitale de la relation entre les Grands et ceux qu’ils protègent, les faisant profiter de leurs largesses. À travers cette création symbolique d’un lien par le don, le rang social se donne en spectacle et la place de chacun dans un corps politique fortement hiérarchisé se trouve clairement affirmée. Il semble y avoir une « bienséance » du don à la Renaissance. Pourtant, dans le chapitre XVI du Prince, « De liberalitate et parcimonia », Machiavel dit préférer un roi ladre à un roi libéral. Il paraît ainsi prendre le contre-pied d’un des principes les plus fondamentaux exprimés par les traditionnels Miroirs des Princes. Par ailleurs, dans la pensée d’Érasme, de Budé, ou encore de Montaigne, on constate que la notion tend à perdre sa place de vertu modérée, à égale distance entre prodigalité et avarice. La libéralité constitue donc, à la Renaissance, un objet complexe : à certains égards critiquée, elle conserve pourtant une forte valeur positive. Ambivalente, elle exerce sur les artistes et les auteurs une sorte de fascination, théorique comme esthétique. Elle fait également l’objet de redéfinitions qui engagent à réévaluer l’organisation sociale et politique du temps.
Toute une série d’articles s’attache à ces questions de (re)définition du terme et sur les paradoxes qui l’innervent. Anne Rousselet-Pimont se penche sur les passionnants problèmes que la libéralité pose au droit : elle rappelle la dimension première de la libéralité, qui a trait au don et à la donation, et montre à quel point les juges étaient « partagés entre la reconnaissance de la louable générosité du donateur et la méfiance qu’inspire toute donation qui menace de troubler les équilibres patrimoniaux programmés ». Ce paradoxe entre éloge de la libéralité et nécessité de sa restriction revient dans tous les articles qui cherchent à définir la notion. Alexandra Merle, Maria-Teresa Ricci et Laurent Gerbier, qui se penchent tous trois sur des corpus étrangers, le soulignent également. Alexandra Merle parle de la libéralité royale dans la pensée espagnole au XVIe siècle en soulignant en premier lieu que la libéralité du prince est rattachée à l’exercice de la justice, qui est un des premiers devoirs du gouvernant quel qu’il soit, mais qu’il n’était pas question de dilapider le patrimoine de la Couronne. Giovanni Pontano, objet de Maria-Teresa Ricci, réaffirme quant à lui l’importance de l’idéal éthique du « juste milieu » : il ne faut donner ni trop, ni trop peu. La perspective des liens entre pouvoir et libéralité et la question de la tension entre parcimonie et libéralité est abordée par Laurent Gerbier, qui propose une analyse détaillée de la notion chez Machiavel : il en fait un point nodal pour comprendre l’unicité de sa pensée, souvent perçue comme paradoxale. Le cas de la France semble faire écho aux cas italiens et espagnols. Bruno Petey-Girard montre à son tour, à travers l’exemple de Budé, à quel point certains grands penseurs du XVIe siècle ont pu proposer des perspectives originales : Budé repense le mécénat et les liens entre le prince et le lettré selon deux pôles parfois difficiles à concilier, celui du mérite et celui de la libéralité. Enfin, en relisant l’essai “Des Coches” de Montaigne à la lumière d’un riche intertexte antérieur, Koji Takenaka propose de replacer la notion de libéralité dans le contexte plus vaste de l’économie, telle qu’elle est entendue au XVIe siècle.
Outre ces approches plutôt théoriques, d’autres articles se penchent sur la pratique de la libéralité dans le cadre de la relation entre Grands et obligés, qui a souvent lieu selon « un échange mécénique très pragmatique » malgré les idéaux et conseils des penseurs comme Budé ou Machiavel (Bruno Petey-Girard). Les ouvrages de savoir et les recueils poétiques nouent des liens particulièrement étroits avec le pouvoir et sa promotion, comme le soulignent les articles d’Olivier Deloignon sur Geoffroy Tory et son Champ fleury d’un côté, et ceux de Thomas Berriet sur Ronsard et Du Bellay et de Bruno Méniel sur la poésie épique à la Renaissance d’un autre côté. Ces livres sont souvent, comme le rappelle Bruno Méniel, « l’objet d’un don » : le poète offre son recueil au Prince, il lui offre une gloire immortelle en échange de sa protection et de son mécénat ; le savant offre « le pouvoir de la science et des mots » (O. Deloignon) à son protecteur.
Nous vous souhaitons une bonne lecture.
Le comité de rédaction du Verger II