Thomas Berriet : De la liberté et de son effacement dans la libéralité : Grandeur et décadence de l’humanisme poético-politique de Ronsard et Du Bellay à Montaigne

Cette section constitue la partie 5 de 12 du numéro
LE VERGER – Bouquet II : La libéralité au XVIe siècle

Thomas Berriet, Université Paris-Diderot et Aix-Marseille

Hans Holbein le Jeune, Salomon et la reine de Saba, Royal Library, Windsor, 1534-35 (source : wga)

Hans Holbein le Jeune, Salomon et la reine de Saba, Royal Library, Windsor, 1534-35 (source : wga)

 

Cet article se propose d’examiner l’articulation problématique de la liberté et de la libéralité en confrontant deux points de vue qui, à trente ou quarante ans de distance, inversent le sens de la réciprocité qui s’y joue.

Chez Ronsard ou Du Bellay, la libéralité est la garantie et la reconnaissance d’un projet à la fois poétique et politique dont la visée est celle de la renovatio. La libéralité en ce sens correspond à tout point de vue à un autre cérémonial de la société d’Ancien Régime, l’éloge. La libéralité est le moyen mis à disposition du grand pour honorer. L’éloge du poète y répond, et nous voyons se dessiner un pacte épidictique qui repose sur un rapport étroit entre l’éloge et le bienfait, signe visible de la vertu qui est honorée. La liberté, dans cette dynamique d’échange, est essentielle : c’est elle qui transforme la contrainte – rendre ce qui est donné et donner à son tour – en élection et en distinction. La libéralité propose ainsi une solution à un problème qui se pose à toutes les sociétés : celui de la promotion individuelle, de la reconnaissance du mérite, et de la légitimation sans cesse nécessaire du pouvoir.

Notre question est la suivante : pourquoi le bienfait, d’une reconnaissance qui honore, devient-il la « rude obligation » à laquelle Montaigne veut échapper à tout prix (III, 9) ? Dans les Essais se dessine l’émancipation d’un cadre politique – celui de la libéralité, réciprocité dans la vertu – au profit d’une liberté « contractuelle » : « Or je tiens qu’il faut vivre par droict et par auctorité, non par recompense ny par grace » ; « Je fuis à me submettre à toute sorte d’obligation, mais sur tout à celle qui m’attache par devoir d’honneur ». L’intérêt de ce passage profondément paradoxal est de mettre au jour les failles d’un système fondé sur une réciprocité libre et qui éclaire, a posteriori, le délitement progressif du « pacte épidictique » – celui de l’éloge et du blâme – dont le point d’orgue semble se situer à la fin du siècle.

Pour y réfléchir, nous nous appuyons sur ce passage de De la vanité, où l’auteur avoue accueillir le déshonneur comme un soulagement qui permet d’échapper à ses obligations, sur la dialectique de l’éloge et du blâme que propose le parcours des Regretset sur deux textes de Ronsard : le « procès de l’ingratitude » intenté à la maison de Lorraine et le « Discours ou dialogue entre les muses deslogées, et Ronsard » dans lequel se révèle – à traversl’échec de la libéralité – la faillite des espoirs poétiques des années 1550. 

 

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